mercredi 26 septembre 2012

Dayazell - s/t

Après un mini-cd plus que réussi, les sudistes (ex-toulousains, maintenant basés à St Sulpice) Dayazell nous reviennent avec un premier vrai album. Dayazell, c'est quoi? Un quatuor revisitant librement mais avec talent les classiques des musiques médiévales et méditerranéenne, sacrés comme profanes.Vrais passionnés ayant à côté fait leurs armes (au propre comme au figuré) au sein de la troupe médiévale Armutan, les Daya vont rechercher de vieilles partitions médiévales por leur redoner un coup de jeune. Et sans souci des frontières.

Dayazell ne se limite pas à l'Europe, au contraire ce premier album emporte l'auditeur très loin: cantiques espagnoles, chants arméniens ou mongols, musique séfarade ou moyen-orientale, ils vont puiser partout. Ca se ressent niveau styles d'ailleurs. Si l'italienne "Tre fontane" est plutôt rythmée et dansante, rappelant la fête de village, un titre comme "Dyngyldaj" (traditionnel mongol) porte un souffle beaucoup plus épique, voir presque tragique. La très connue "Madre de deus" (Espagne, XIIIème siècle) est revisitée elle dans une veine instrumentale plus intimiste, lente et mélancolique. C'est aussi la force de Dayazell de ne pas s'enfermer pleinement dans un académisme poussiéreux mais de prendre la liberté de revisiter ces titres, de leur redonner vie. Tout en gardant une approche sérieuse basée sur un niveau technique excellent.

Une demi-heure, c'est quand même un peu court. Le cd est heureusement accompagné d'un dvd bien fourni avec huit titres filmés en 'vrai-faux' live, c'est à dire en conditions de concert mais sans public. Le groupe y est accompagné pour l'occasion d'une danseuse du ventre sur certains titres. L'interprétation est très bonne et l'image comme la prise de son très pros.

Dayazell nous invite donc à un voyage raffiné autour de la Méditerranée et un peu plus loin encore. Un voyage intérieur aussi. Je vous conseille d'embarquer avec eux.


Un titre en écoute et le contact pour commander, hop c'est ici: http://dayazell.bandcamp.com/

lundi 24 septembre 2012

Sites: le Mourral des morts


C’est un petit site oublié, perdu en plein cœur du Minervois. Pays de collines et de pinèdes, d’apparence aride et pourtant curieusement chaleureux. Les étendues de vignes sont autant de marques d’apprivoisement de cette nature revêche, et de loin en loin les vieux villages de pierre s’accrochent à la terre comme des lichens sur un tronc cramoisi. Belle et sauvage terre au nord de Carcassonne dont le soleil et le vent se disputent l’âme, où le temps marque une pause.

Au début d’un chemin, le panneau indique la voie : Mourral des morts. La marche se fait à rythme tranquille, entre collines et petits bois. Le terrain est légèrement accidenté, assez pour renforcer le caractère sauvage des lieux sans être exigeant. Surtout, le vallonnement et les incessantes bifurcations font vite perdre le sens de l’orientation. Sans repères, c’est un autre monde que l’on pénètre. Un autre pays et un monde intérieur, l’excursion se fait cheminement sacré, la détente devient méditation.

Et le Mourral surgit soudain sous nos pieds. Au détour du chemin on met d’un coup presque le pied sur la première tombe. Le site s’étale sur une petite superficie à flanc de colline, une cinquantaine de tombes environs disposées là au milieu de nul part. Toutes ou presque tournées vers le Levant. L’endroit est empreint d’un calme irréel qui détonne presque avec le reste de la région. Si le Minervois est un pays rêche mais paisible, le Mourral en lui-même est un espace de vide, d’attente. Un lieu complètement à part. 


Surgissant du sol, reposant sous quelques pins, les sépultures vides sont elles mêmes comme en attente. Certaines reposent à fleur de terre, d’autres imposent leur carrure granitique au relief. Une plus importante, cernée d’un muret de pierres parfaitement conservé, domine la nécropole de sa présence massive, alors qu’à un jet de pierre quelques trous plus petits, discrets, bien alignées, rappellent que des enfants aussi ont connu ici leur dernier sommeil. Après l’atmosphère presque abstraite de la marche, cela sonne comme un rappel de la profonde humanité qui emplit ce lieu.


 La nécropole de Villarzel a été utilisée par les Wisigoth de la région aux VIème et VIIème siècles. Elle fut redécouverte dans les années 70 par l’archéologue amateur Louis Giraud, qui y consacra plusieurs riches campagnes de fouilles. Outre les squelettes bien conservés, les tombes livrèrent une importante moisson d’objets : vases, bijoux, couteaux, objets religieux… le site est riche et reconnu, et le simple dépôt de stockage de Louis Giraud à Villarzel-Cabardès  s’est transformé en musée.
Et l’on se pose la question : pourquoi ici ? Est-ce justement l’étrange paix du lieu qui a poussé les Wisigoth de la région à y ensevelir leurs morts ? D’où venaient exactement ces hommes et femmes, dont on n’a pas encore retrouvé les habitations ? Des alentours ou de plus loin ? Les fouilles n’ont pas encore livré tous les secrets du Mourral, qui préserve encore son mystère. Et reste imperméable au temps qui passe, détaché du monde des vivants, immobile dans son écrin de nature sauvage, les tombes dressées contre le vent et le ciel.


Pour se rendre au Mourral, prendre l’autoroute A61 en direction de Carcassonne. Prendre la sortie 24 vers Trèbes et de là suivre la D135 en direction de Laure Minervois. Prendre ensuite la D35 en direction de Villarzel-Cabardès et s’arrêter au château de Villarlong. De là suivre le chemin de randonnée partant de derrière l’édifice. Et suivez bien les balisages (triangles bleus) !
Le musée de Villarzel-Cabardès se visite gratuitement mais uniquement sur rendez-vous (contacter Louis Giraud au  04 68 77 02 11).

samedi 4 août 2012

Om - Advaitic songs


Le duo ex-Sleep (on ne peut décidément s'empècher de mentionner leur prestigieux passé bien qu'ils se soient plus que fait un nom de leur côté depuis -et que Chris Hakius soit parti depuis un moment d'ailleurs) est de retour avec une cinquième galette. Advaitic songs est son petit nom, et elle était attendue après le succès de God is good. Si vous avez aimé ce dernier vous ne serez pas déçu ici, puisque Al Cisneros et Emil Amos poursuivent sur leur lancée.

Ils poussent même le trip encore plus loin. Advaitic songs est sûrement leur album le plus progressif à ce jour. Les lignes de basses stoner sont mises un cran en retrait en faveur des arrangements. On sent que Robert Aïki Aubrey Lowe a pris de l'importance! Les arrangements à cordes deviennent presque omniprésents, qu'il s'agisse de sitar ou de nappes de violon/violoncelle qui apportent une touche classique nouvelle chez Om. Une touche plus ambiante aussi, comme sur la très planante "Sinaï" dont le groupe nous avait donné un avant-goût sur leur dernière tournée, ou plus intimiste voir tragique sur "Gethsemane". Cisneros laisse ces éléments nouveaux prendre le dessus sur la musique et tisser les mélodies principales, sa basse passant à l'arrière plan. Petite évolution pour Om, qui devient de moins en moins centrée sur la quatre cordes. Bon il y a quand même des habitudes qui ne se perdent pas et la ligne de basse ronflante et couillue de la somptueuse "State of non-return" redonnera vigueur aux fans de headbanging parmis vous. Mais globalement on sent le Cisneros plus ouvert à laisser la musique vivre en dehors de son instrument, moins égotiste en un sens. Et ça tombe bien, c'est le concept du disque.

Un petit mot sur les textes en effet: "Advaitic songs", en référence à l'Advaita ou "non-deux" en sanskrit, école de pensée rejetant les dualités et affirmant notament l'unicité de l'âme individuelle et du Tout. Les paroles justement nous emmènent de nouveaux vers les territoires de l'illumination, comme toujours chez Om. On les connait pour leur propension au syncrétisme, ils ne dérogent pas à leur propre règle en continuant leurs rapprochements entre Occident et Orient. Sur "Gethsemane" par exemple c'est bien la solitude du Christ lors de sa dernière nuit qui est contée, mais en rapprochant son vécu des doctrines bouddhiques de la vacuité et donc du "non-deux". Unicité de l'âme et de l'univers, dépouillement du soi illusoire... il y a beaucoup à fouiller et à méditer et une chronique n'y suffirait pas. Surtout que l'écriture de Cisneros, à l'instar de ses lignes de basses, est encore une fois alambiquée et hermétique!

Donc pour conclure Om poursuit sa mue engagée depuis God is good: toujours plus d'arrangements planants, de mélanges, moins de grosse basse et de démonstration de technique. Le duo se recentre sur le groove et laisse la part belle à un métissage sonore des plus trippés. Advaitic songs n'est pas seulement leur album le plus progressif, c'est aussi le plus humain, le plus introspectif, qui va explorer la solitude détachée, à la fois sereine et un peu amère, du méditant. Un album abouti qui marque ce que Om a fait de plus haut, une superbe réussite.

mardi 3 juillet 2012

Dark Buddha Rising - Abyssolute transfinite




Une pochette aussi réussie qu'énigmatique. A la voir on peut se demander ce que vont contenir les deux galettes noires qu'elle renferme: du stoner doom enfumé? de la musique rituelle indienisante? de l'electro-transe sous champis? ou alors du black metal ésotérique aux vagues relents tendancieux, la faute à ce joli soleil noir en arrière plan...? Rien de tout celà... mais un peu de tout en fait! Avec les finlandais de Dark Buddha Rising on nage en plein sludge/doom ésotérique, sombre et massif comme une pyramide d'obsidienne, palpitant comme le coeur d'un sacrifié, mystique et envoutant comme les volutes d'encens d'une cérémonie impie.

Quatrième album pour ce trio venu du froid qui se fait peu à peu sa réputation chez les amateurs, surtout depuis leur passage remarqué au dernier Roadburn. Et pourtant c'est peu dire qu'on ne parle guère d'eux en général! Pour la promo on repassera. Pour le reste par contre on va rester un moment tant il y a à dire et ressentir.
Lourd. Dense. Brûlant. Suintant. Noir. Profond. On se perd en qualificatifs. On sait juste à l'écoute qu'on tient un truc pas banal, même si fait avec des éléments déjà connus mais si bien entrelacés qu'on reste captivé. Imaginez par exemple un Neurosis qui aurait trop écouté Magma. Ou Amen-Ra qui copule avec la lourdeur pachydermique de Fleshpress. Dark Buddha Rising tient d'ailleurs beaucoup du projet sludge de Mikko Asppa. Même intérêt pour les riffs lents et écrasants, pour les lignes de basse hypnotiques, même fascination pour les ambiances à la fois malsaines et délirantes. On dirait l'album Pillars passé à la moulinette tantrique. On se perd peu à peu dans ce labyrinthe de riffs gluants et opaques, de voix tantôt hurlées tantôt murmurées, de développements longs et tortueux cédant la place à des explosions dramatiques. Des montagnes sonores hallucinées. Des temples interdits. Des chants oubliés. Une longue hypnose narcotique, et ce soleil interieur brûlant, dévorant, s'ouvrant enfin dans une extase divine et douloureuse. Deux vinyls si denses et complets qu'on ne sait plus si l'album dure quarante minutes ou deux heures. Abyssolute transfinite est plus qu'une invocation, c'est un voyage vers des dimensions interieures oubliées.



Les versions LP étant tirées à relativement peu d'exemplaires sont maintenant assez chaudes à trouver. A l'heure ou cet article est écrit il en reste chez le label du groupe, Post RBMM. Et vu l'activité fournie des finlandais (quatre albums depuis 2007 quand même), on peut raisonnablement attendre du nouveau rapidement. On le souhaite!

(crédit photo Niels Vinck @ Roadburn).

jeudi 28 juin 2012

Phurpa - Trowo Phurnag Ceremony


Ce qui est bien avec la musique (celà vaut aussi pour la plupart des formes d'art mais la musique est un exemple particulièrement révélateur) c'est qu'à force de toujours chercher ce qui se fait de plus innovant, avant-gardiste et j'en passe, on revient fatalement aux racines. Parfois même les plus inattendues. A croire que la création artistique n'est jamais qu'un Ouroboros se mordant perpetuellement la queue. Bref tout ça pour dire qu'en partant du drone par exemple on peut revenir quelque siècles, voire bien plus, en arrière.

Il était donc une fois quatre jeunes russes étudiants à la Fabrique of Cardinal Art de Moscou, travaillant sur les musiques rituelles et religieuses d'Iran, d'Egypte et du Tibet. Après quelques années de tâtonements ils créent Phurpa. Avec ce groupe ils redonnent vie à leur façon aux musiques tantriques tibétaines. C'est en particulier dans le repertoire de la tradition Bön qu'ils vont piocher. Le Bön, pour faire court, est la religion et l'ensemble de croyances tibétaines préexistant au bouddhisme, et qui se sont mélangés à celui-ci pour en former cette branche distincte des autres qu'on appelle 'bouddhisme tibétain' ou encore lamaïsme.

 bröööööööööööööööö.....

De la tradition Bönpo les musiciens de Phurpa ont retiré un goût pour les polyphonies. D'ailleurs Phurpa est plus à considérer comme un ensemble vocal que comme un groupe. Le chant occupe tout l'espace, un chant ou plutôt une superposition de chants graves, guturaux, dissonants. Les instruments traditionnels (rkang glings, gyalins, damarus, cymbales, ngas, bols chantants...) restent très discrets et jouent plus le rôle d'accompagnateurs, soutenant le chant et scandant les différents passages. Mais c'est bien la voix qui est maîtresse chez Phurpa, cette voix à la dimension spectrale fantastique, psamoldiant les mantras et emplissant tout l'espace jusqu'à presque en déformer la perception que l'on en a. Musique tantrique par excellence, l'experience Phurpa réclame quand même un effort pour être pleinement appréciée. Le style est volontairement monotone et exige de l'attention. Cette rudesse au premier abord est le prix à payer pour qui veut s'immerger dans la vraie musique rituelle, porteuse de sens. Il faut apprendre à laisser le temps au son de frayer son chemin dans notre univers mental et d'y faire son effet.

Quel rapport avec le drone au fait? D'abord que nos russes chantants ont été repérés par Stephen O'Malley. Le maître ès-infrabasses a été séduit au point de les signer sur son nouveau label, Ideologic Organ (en fait une sous division du label Mego pour laquelle O'Malley est curateur), et qu'il les embarque de plus en plus souvent avec SunnO))) en tournée. Ensuite que Phurpa bien que n'étant pas du drone s'en rapproche énormément: même culte de l'onde sonore et de ses effets, même minimalisme hypnotique, même mysticisme caché... En fait Phurpa met en valeur les liens de descendance qui se tissent entre courants musicaux. Et nous font prendre conscience que le drone est bien l'héritier de ces musiques 'primales' et sacrées qui recherchaient la transe et l'illumination par le son.


Trowo phurnag ceremony est encore trouvable sur diverses distros, dont Drone records.
Les photos sont reprises du site du groupe http://phurpa.ru/.

mercredi 6 juin 2012

Live report: Tapette Fest, Campénéac, 1 et 2 juin 2012


La Bretagne, terre de paysages verdoyants, de patrimoine ancestral, de bigouden ridées et… de festoches!  J'ai beau avoir décidé de tirer un trait sur le Hellfest cette année (trop cher, trop déjà vu, trop relou), le sort m'aura quand même traîné de nouveau du côté de Brocéliande pour une escapade musicale. Au Tapette Fest -alias Festival du Pathos- sixième du nom! Officiellement pour servir de roadie aux membres de Malhkebre, officieusement pour m'en mettre plein les cages à miel pendant deux jours. A part les agent actifs de l'ignominie susnommés et les parisiens Aluk Todolo, je ne connais rien des artistes présents à l'affiche, mais les connaisseurs me disent que le Tapette Fest est un grand n'importe quoi dont on ne ressort jamais déçu. Ok, ça roule.

En plus de dix ans d'existence, le Tapette n'en est qu'à sa sixième édition. La faute à plusieurs césures, pour cause de difficultés diverses (financement, orga ou divers problèmes rencontrés sur le Tapette #5 qui ont obligés à une petite pause…) et déménagements. Cette année c'est la petite commune de Campénéac (Morbihan) qui accueille le fest.
Arrivés sur place on a vite fait de se familiariser avec les lieux, puisque le site même (hors camping et parking) ne tient même pas sur un demi terrain de foot. Un chapiteau-scène, une tente-buvette, une caravane à sandwiches et un barnum-stand de merch. Plus des toilettes sèches dans un coin et un stand de shirts et affiches sérigraphiés à la main et on a tout ce qu'il faut. Que demander de plus qui ne serait superflu? Un festoche à taille humaine, pour de vrai. En plus l'ambiance est vraiment à la cool et les différents publics présents (allant du punk à chien au teufeur en passant par tout ce qui se trouve en matière de metalleux, rocker indie, skin, coreux etc.) cohabitent gentiment.



On aura quand même raté le début, n'arrivant que pour voir la fin du set de France Sauvage, assez bruitiste et péchu, mais trop peu vu pour s'en faire une vraie idée. De Will Guthrie je ne verrai presque rien mais le peu que j'en entendrai semble bien bon, basé essentiellement sur des soli de percussions et batterie. Pas vu Headwar non plus, en revanche Scorpion Violente fera un effet bœuf, malgré une phase d'adaptation nécessaire. Le duo français nous délivre une electro limite transe par moments, mais sur le fond assez crade. Ça fait voyager tout en pulsant le dancefloor de vibrations pas toujours complètement positives. Eux appelle ça de la "disco pour vigiles". Une version camée d'Underworld? Ça m'y a fait penser par moments, tout en gardant un je-ne-sais-quoi de typiquement frenchy. Excellent mélange pour un set détonnant, un groupe qu'il me faudra suivre. Le temps de revenir sur terre et on enquille avec les espagnols de Rageous Intent. Soit du grind, du vrai, con comme ses pieds comme il se doit, blastant non stop sur des morceaux ne dépassant quasiment jamais les deux minutes mais avec quand même suffisamment de petits mid-tempi de ci de là pour faire son effet. Du bon arrachage de tête, à défaut d'être une grande découverte.
La fin de soirée se passera en dévotion devant Aluk Todolo. C'est peu dire qu'ils auront livré un très bon set, axé principalement sur des titres inédits à paraître sur le prochain album. Quarante minutes planantes, basées sur des empilements de nappes sonores et larsens. Il faut bien la frappe tribale et musclée du batteur Antoine Hadjioannou pour donner à ces fils de Magma l'énergie vitale nécessaire pour faire décoller le tout. Et on décolle avec eux, pris en transe, étourdis par l'accumulation de collages sonores et de lignes de basse obsédantes. Paroxysme atteint sur une version explosive du titre "March" en conclusion, explosion libératoire d'un concert/expérience aussi passionnant que difficile à décrire. Et encore, on se dit que dans une vraie salle avec un meilleure son et des lumières appropriées, l'effet doit être encore plus détonnant. En tout cas, au vu de ce qu'on a entendu et vécu, on salive d'avance pour ce nouvel album dont les extraits dévoilés dévoilent du très bon.




Des expérimentations noise...
...et des rythmes tribaux, la magie Aluk Todolo.


Crevé tant par la route que par le live, je zapperai volontairement Shit and Shine et Tzii, mais le peu que j'en entendrai depuis le camping ne me donnera pas vraiment envie de me relever. 

Samedi, deuxième jour. Suite à divers impondérables (groupes annulés, en retard etc.), le running order en prendra un coup. Certains groupes changeront de place sur l'affiche, d'autres s'ajouteront sans avoir été annoncés, bref c'est un peu le bordel, à tel point que par moments on ne sait plus exactement ce qui passe sur scène.
La journée débute avec un dreadlockeux inconnu venu nous présenter un blues plutôt ténébreux. Seul à la gratte, accords simples et voix grave, a priori rien pour sortir du lot. Sauf que le monsieur à la bonne idée de plomber sa ziq d'effets de manche dissonants, de samples bruitistes, et de saupoudrer le tout d'un chant très déclamatoire vaguement halluciné. Bon mélange et une sauce qui prend bien. Le petit parterre couché dans l'herbe devant lui fait une ovation méritée. Je regrette de ne pas avoir retenu son patronyme.

 Si un internaute charitable peut me dire qui est ce type...

C'est ensuite le derviche noise de Chausse Trappe qui prend le relai sous le chapiteau. "Derviche noise"? Oui oui, c'est ça. Vous prenez du rock noise vénèr' comme c'est bien à la mode en ce moment et vous y ajoutez du violon. C'est trad' et électrique, ça charcle et ça fait planer, c'est transe et furieusement rock en même temps, bref c'est bon. Plus en tout cas que Noir Boy George, qui vient ensuite. J'ai peine à décrire ce qui sonne comme de la dance vaguement J-Pop par moment assortie de textes très décadents que ne renieraient pas Costes ou Diapsiquir. Bref c'est sale et dérangeant derrière une façade faussement innocente, le concept est excellent mais au final j'ai quand même eu du mal à totalement adhérer. A retester pour voir. Love Sex Machine sera plus conventionnel avec du gros stoner qui tâche. Massif, tout d'un bloc, limite barbare, voix screamo monocorde et amplis Orange poussés à bloc, faut pas s'étonner si ça déclenche quelques pits bien sentis. Basique mais très bon. Dommage juste que la puissance dégagée ait fait sauter trois fois les plombs pendant le set, obligeant à de frustrantes interruptions au grand dam d'un groupe qui n'en peut mais. En tout cas ils ont remporté tous les suffrages, et c'était mérité vu la prestation. Un peu trop répétitif pour me passionner sur disque mais je les reverrai sur scène avec plaisir. Zed par contre j'éviterai. Je n'ai rien contre le free jazz, à condition que ce soit bien fait. Hors avec un batteur à la ramasse et un saxo et une guitare en roue libre, ça sent le grand rien. Limite l'imposture même, tant leur musique ne dégage rien d'autre qu'un profond sentiment de vacuité. N'est pas John Zorn qui veut.

Je zapperai plusieurs groupes suivants pour raison d'aide logistique aux Malhkebre, ne voyant que le set des anglais Trans/human depuis les coulisses. Et c'est peu dire que c'est très bon! Après un départ un peu chaotique le duo de Sheffield, qui passe pour la première fois en France, déploie avantageusement sa noise répétitive et mystique. Les vagues de larsens et les roulements de percus donnent une note presque tribale à un set pourtant très électrique. De ce magma sonore fécond ressort une ambiance transe très prenante, presque hypnotique. Excellente découverte que voilà, pour un groupe qui mérite qu'on les suive, surtout que les deux gars sont particulièrement modestes et accessibles à la discussion. Chapeau à eux, et au plaisir de les revoir!
Malhkebre donnera en revanche un set assez particulier. De prime abord on peut se demander ce qu'un groupe de black metal aussi virulent musicalement qu'idéologiquement vient faire dans un fest pareil. Mais c'est la magie du Tapette Fest de programmer et faire cohabiter l'improbable, et ce finalement avec une certaine cohérence. Les toulousains en tout cas livreront un set brutal comme ils en ont l'habitude, blastant furieusement leur black chaotique (qui me fait toujours repenser à Antaeus pour ses parties les plus intenses) assortis des passages doomisants et des discours martiaux de rigueur. Très bon dans l'ensemble, mais avec un étrange sentiment de décalage dû au lieu et au public. Voir des teufeurs en pleine montée de MDMA pogoter sourire aux lèvres devant un groupe aussi extrême à tous les niveaux laisse songeur. Le message est-il passé? J'en doute, mais bon concert quand même.

 Malhkebre vu côté coulisses...

Du Syndicat MMX je n'aurais pas le temps de voir grand chose, juste de capter au vol un peu de leur indus martiale et menaçante, lourde comme du plomb et assez oppressante. Ça avait l'air très bien, mais j'étais pris ailleurs. Dommage. La soirée se terminera pour moi de façon improbable devant L.E.G., soit du heavy rap bruxellois de très bonne facture, prenant le meilleur du flow east coast assorti d'expérimentations sonores poussant vers l'electro ou le drone. C'est catchy as fuck, prenant, et en même temps vaguement malsain. Encore une bonne surprise, et pourtant c'est peu dire qu'à la base le hip-hop n'est pas ma tasse de thé.



Trop cramé pour poursuivre, je ferai l'impasse sur le hardcord furieux de Strong As Ten et la disco pop déjantée de Duflan Duflan. Dommage mais j'ai eu déjà ma dose de découvertes, comme tout le monde d'ailleurs. Bilan plus que positif d'un petit Fest qui risque fort de me voir revenir pour les prochaines éditions. Et que je recommande chaudement. Parce que voir des gens mouiller la chemise pour organiser deux jours de grand n'importe quoi musical de haute qualité, en totale indépendance et avec modestie, moi je dis bravo. L'orga est très bonne pour du DIY, et on reste admiratifs de voir s'enchainer avec finalement une certaine cohérence des références musicales aussi éloignées les unes des autres qu'improbables en elles mêmes. Gloire au Pathos!

dimanche 20 mai 2012

Ra Al Dee Experience - Demo 2009


Le metal a ce don particulier de mener un peu à tout. Magie d'un style musical qui, pour peu que l'on ne soit pas trop fermé et que l'on ose, peut ouvrir des connexions inattendues et intéréssantes. C'est un peu ce que fait le sieur Mors Dalos Ra depuis quelques années. Ce Berlinois s'est forgé experience et notoriété dans les tréfonds de l'underground avec son groupe maintenant bien établi, Necros Christos. Soit un retour aux origines d'un death metal glaireux, profond, morbide et occulte comme on en écoute pas assez souvent. En deux albums et une belle quantité de splits et minis, il a reposées les bases d'un style résolument old school, mid tempo, délaissant la brutalité pure pour lui favoriser un groove à la fois malsain et fascinant. Avec pour particularité, en plus, de jouer à fond la carte ritualiste: à la manière d'Acheron, les titres de Necros Chrisos sont entrecoupés d'interludes instrumentaux allant de la musique liturgique chrétienne à celle, plus profane, médiévale ou orientale. Une originalité qui sonne souvent comme une hérésie dans le petit monde du metal, mais qui ouvre de belles portes. Et une de ces portes est Ra Al Dee Experience.

Se plonger dans la musique orientale est une chose, mais il est frustrant de ne s'en servir qu'à des fins "décoratives". D'autant que Mors Dalos Ra est un homme et un artiste complet qui vit ses trucs à fond. C'est parcequ'il fut marqué dès l'enfance par des expériences de sortie du corps (lire à ce sujet son interview édifiante dans le fanzine Oaken Throne #6) qu'il s'est tourné vers l'occultisme. C'est parceque la guitare fût une révélation qu'il en fît son métier, devenant enseignant de guitare classique en conservatoire. Et son amour pour les musiques arabo-andalouses et orientales l'a conduit à en faire un vrai projet. Avec son compère Ben Ya Min Al Dee, il créé Ra Al Dee Experience, duo guitare/percussions qui nous emmène des rivages d'Al Andalous à ceux de la Perse.

Ce qui est bien c'est que les deux hommes ne font pas un décalque stérile des musiques traditionnelles orientales, façon carte postale, mais qu'il s'en inspirent plutôt pour faire leur truc à eux. La musique de Ra Al Dee Experience sonne donc comme un mélange des genres gardant un charme ancien allié à des sonorités et rythmiques plutôt modernes. Assez hétérodoxe pour les puristes mais empreint pour le coup d'une véritable personnalité. Un pont entre plusieurs mondes et plusieurs époques. Musicalement la formule est très simple: guitare et percussions. Des morceaux courts, portés sur une mélodie souvent entêtante et rejouée sous forme de variations. Pas de longs développements, pas de chant, à peine une très légère nappe de synthé par moments pour poser l'ambiance, et c'est tout. La forme est très dépouillée, le son très organique et ample, le tout finalement chaleureux. On est plus proche du thé à la menthe que de l'invocation à Kali, et de la part d'un metalleux connu pour mener un des groupes les plus occulte et morbide du moment c'est à la fois inattendu et rafraîchissant.


Après quelques années de travail dans une relative discretion,  le duo nous offre enfin une première démo. Hélas, elle n'est pour l'heure disponible qu'en téléchargement. Il faut espérer qu'elle sortira prochainement sur format physique, si possible en vinyl ça ne serait pas plus mal (le rapport à l'objet, l'importance du visuel etc etc.). En attendant ne faisons pas nos snobs et ne boudons pas ce petit voyage musical, il en vaut la peine.
La démo est écoutable et téléchargeable (payant) sur le Bandcamp du groupe: http://ra-al-dee.bandcamp.com/
Infos générales via le site/facebook: http://darknessdamnationdeath.com/ra.al.dee

dimanche 6 mai 2012

Blood Axis - Born again (2010)


Voilà un album dont la sortie est passée curieusement presque inaperçue. Peu de promo, à peine plus de bouche à oreille et des chroniques finalement plutôt rares, surtout en français. Etrange quand on connaît l'aura et le crédit donné au groupe qui hante les tréfonds de l'indus et de la neofolk depuis 1989. Trop exigeante la musique de Blood Axis? Ou est-ce encore dû à la vague odeur de soufre que le sieur Moynihan traîne toujours derrière lui?  Incidemment cela pose la question de savoir pourquoi des groupes majeurs restent dans l'ombre alors que quantité de productions médiocres bénéficient d'une forte attention. Je ne trancherai pas, ce serait une perte de temps. Ainsi va le système. Ce qui importe c'est ce qu'un artiste a à nous dire. A donc. 


"My spirit lead me to speak of forms changed into new bodies". Les mots d'Ovide ouvrent l'album de façon fort symbolique. Parce qu'en effet si l'essence de Blood Axis reste la même, sur la forme la troupe de Michael Moynihan a fait sa mue. Toujours entouré des fidèles Robert Ferbrache et Annabel Lee (plus quelques guests de qualité comme Bobby Beausoleil), le maître de bord emmène sa barque vers de nouveaux rivages. Ceux d'une folk à forte consonance celtique, presque débarrassée de ses intonations indus des débuts, centrée sur le violon et le chant. Pas si nouveau que ça dans l'absolu si on tient compte des titres passés s'aventurant déjà sur ces territoires ("The march of Brian Boru", "Seeker"…) voir même de l'album concept élaboré avec les gus d'In Gowan Ring (The rites of Samhain). Sauf qu'ici il ne s'agit plus d'expérimentations mais bien d'un parti pris intégral. Ce n'est pas pour rien que l'album s'intitule Born again! C'est bien une nouvelle naissance que Moynihan nous offre.

Alors, quel programme pour ce Born again? De la folk, ai-je dit. Relativement épurée, portée par les guitares, violons, banjo et bodhràn, soutenue par des percussions tribales et enveloppée de très rares nappes ambiantes. Pour ceux qui se sont arrêtés à The gospel of inhumanity le changement est de taille! Fini les consonances indus, les rythmes martiaux, les samples de discours grandiloquents. Blood Axis a changé de peau. Mais en apparence seulement, car l'essence profonde du groupe reste la même: nostalgie, rejet de la décadence moderne, philosophie et toujours cette mélancolie non stérile. Et bien sûr il y a la voix de Moynihan, toujours aussi grave et profonde, captivante et intimidante. Elle fait le fil conducteur entre des titres souvent très dissemblables. Si un titre comme "The vortex", avec son long monologue porté par un piano mélancolique et répétitif, rappelle les grandes heures de "The voyage", "Madhu", "The path" ou "Churning and churning" sont plus accessibles, courts et mélodiques, tout en restant très travaillés et profonds, même si de façon subtile. Bref rien n'est renié. Blood Axis ne fait pas de compromis, il ne fait que changer son fusil d'épaule pour aborder son propos sous un angle nouveau. Et cette épure sonore convient pour le coup parfaitement à la poésie dégagée. Une évolution.

Fidèle à sa tradition, Blood Axis laisse une part aux belles lettres pour ce qui est des textes. Ovide et ses Métamorphoses donc, Herman Hesse (pour la mise en musique du très beau poème "Erwachen in der nacht"), Herybert Menzel repris par Miguel Serrano (référence tout sauf innocente mais que voulez-vous, on ne se refait pas), mais aussi plusieurs auteurs médiévaux anonymes. Moynihan s'efface vraiment derrière ses références et signe de lui même peu de textes. Avec toujours les mêmes obsessions qui reviennent: le temps, la vie, la mort.

La mort, voilà le pivot central de l'album. La mort et la renaissance. Born again est un voyage au sein de la nuit de l'âme, mais pas un voyage sans retour. Au contraire. C'est un voyage initiatique qui s'ouvre à nous: découverte, sacrifice, échec et chute, désespoir et accomplissement, multiples étapes de ce périple qui s'appelle l'existence. Et c'est la force cyclique éternelle de cette existence qui est louée. Si "The vortex"  par exemple nous entraînent au fond des ténèbres et de la fatalité du destin, avec la gigue dansante du titre éponyme en conclusion c'est le retour du soleil qui est fêté. Le retour de la vie, de la joie d'être en vie, simplement. Une joie goûté sereinement par celui qui a parcouru les étendues sombres de l'âme et de la mort et en est revenu, laissant la peur et les tourments de l'esprit derrière lui. Le regard changé.


Avec Born again, Blood Axis a réussi un pari difficile: se recréer sans se renier, évoluer tout en gardant la même identité. Cela aurait pu être facile de pondre un Gospel of inhumanity 2, de reproduire les vieilles formules indus martiales qui ont fait le succès du groupe. Mais il faut croire que Michael Moynihan n'est pas comme ça et que le monsieur aime les défis. Ou plutôt qu'il a voulu rester intègre à ses croyances et adapter son œuvre à son discours: avancer et changer. Il l'a fait en beauté. A l'heure ou la facilité est souvent le dénominateur commun en matière de production musicale, un disque aventureux, complexe, intelligent, sensible et qui refuse obstinément le nivellement par le bas ne peut qu'être salué.

"Steep is the path but filled with light from those who climbed before me,  who left on every jutting rock  a lantern glowing with their dreams".

http://bloodaxis.com/

samedi 21 avril 2012

Live report: Om, Toulouse, 20/04/2012


On peut dire qu'on a eu du pot. Om en concert à Toulouse je n'y aurais jamais cru. Ça fait très fan-boy de dire ça, mais j'assume. Comme d'hab' on en désespérait de les voir passer au Roadburn, le festival loin, très loin, et toujours sold-out en une heure, en se disant qu'il y avait presque autant de chances de les voir enchaîner une tournée que de voir le grand sphinx Ré-Harmakis se mettre à bouger, tout cachés qu'ils sont derrière leur aura. D'ailleurs quand Kongfuzi a annoncé les dates, j'ai cru au mirage. Om à Toulouse? En vrai? Ben ouais.

A la base c'est le temple sonore de la Dynamo qui devait accueillir l'office. Au final ce sera le Saint des seins. Pas que je n'aime pas cette dernière salle mais disons qu'outre une acoustique un poil moins bonne, elle manque singulièrement de charme. L'ambiance mi-cosy mi-garage de la Dynamo eut été plus adaptée pour Om. Mais passons. Passons aussi, tant qu'à faire, sur la très étrange et inutile première partie. Je vais être franc: je n'ai même pas retenu le patronyme des locaux qui avaient la lourde tâche de chauffer la scène. Je n'ai en mémoire que des nappes mélodiques dronisantes plus ou moins répétitives et soporifiques. "On dirait le bruit de la mer" me glisse-t-on à l'oreille. Ouais, sans les mouettes mais avec les basses ronflantes pour faire la corne de brume du chalutier. On va plutôt s'exiler au dehors, le temps de se préparer pour la suite à grand renfort de, heu, hum, d'homéopathie.

Et on y est. Mise en place minimale pour Cisneros et ses officiants. Aucun aménagement notable sur scène, pas de backdrop, pas de fumée, lights minimum. Sobre, très. Trop? On ne s'en plaindra même pas, tant Om ne fait pas dans l'esbroufe. Pas besoin de tout ça. Mais reprenons: je disais "Cisneros et ses officiants" car en plus d'Emil Amos derrière les fûts, un troisième comparse s'est joint à eux en la personne du guitariste/claviériste/chanteur/bidouilleur de sons Robert Aiki Aubrey Lowe, qui apportait déjà sa touche sur God is good. Et ça y est: les amplis sont chauds, les Rickenbacker alignées sur leur rack (raaaaah!) prètes à en découdre, et la bouteille de Johnnie Walker d'Amos (seule faute de goût de la soirée) déjà entammée. Cisneros a beau se traîner un éternel air de Droopy vaporeux (l'homéopathie, sûrement), il sait comment s'y prendre pour rendre hommage au dieu Son. Et on va le voir.

Al Cisneros dans la transe électrique.

La première partie du set sera plutôt heavy, avant de basculer tout doucement dans un psychédélisme de fort bon aloi, toujours en faisant la part belle aux deux derniers albums. Nous eûmes droit –entre autres et dans le désordre- a des versions remaniées de "Unitive knowledge of the godhead" et "Bhima's theme", toute la face B de God is good, mais aussi à un inédit tiré du prochain album à sortir en juillet. Et ce "Sinaï" laisse entrapercevoir de fort belles choses en terme d'ambiances planantes pour ce prochain opus!
Que dire de plus pour une telle messe? Qu'on a eu droit à un concert où l'on fait très facilement abstraction de tout ce qui se passe autour pour se couler dans le son, ce qui est la marque des grands moments de live. On oublie tout, obnubilés par les roulements et multiples finesses d'un Amos en très grande forme, par les infinies variations d'un Cisneros écoeurant de technique et de feeling (une leçon de basse, tout simplement), mais aussi envoûtés par les petites touches apportées judicieusement par Lowe. Traficotages de sons à grands coups de pédales, effets de gratte façon orgue (!) parfaitement placés, il nous a tout fait. Même des interventions vocales divines, superposant ses harmoniques au dessus des mantras de basse de Cisneros. Bluffant. Et tout ça en gardant toujours une spontanéité purement rock. Om c'est avant tout du stoner bordel, et ils ne l'oublient pas!




Et combien de temps tout cela à-t-il duré? Hé bien… aucune idée. Vraiment. Ce n'est pas que je n'ai pas eu le réflexe de regarder ma montre, mais qu'on perd tout simplement la notion du temps lors d'une telle cérémonie. On ressort bluffés, admiratifs, avec en plus l'impression de petit privilège pour ce qu'on a vu/vécu. Finalement l'herbe est accessoire, car les mantras d'Om valent à eux seuls leur pesant d'envolées mystiques. Vous allez me dire que cela fait cliché de ressortir les mêmes termes spirituo-esotérico-patchoulis pour Om. Je vous répondrai que non, car il est rare de voir un groupe rendre aussi bien hommage à la déité cachée dans le son. Une expérience à vivre.

dimanche 15 avril 2012

Spite Extreme Wing - Ultra


Il y a des groupes qui ne font pas les choses comme les autres, et ils sont assez rares. Ceux qui ne se tiennent pas aux conventions et figures imposées du genre, qui ne suivent pas le mouvement mais leur propre voie. Spite Extreme Wing en sont.

Ces italiens sévissent depuis 1999, avec maintenant trois albums au compteur. C'est au dernier en date que je m'attache aujourd'hui. Vltra est sont petit nom, petit par le lettrage mais grand par ce qu'il implique. Mais d'abord un peu de latin: "ultra" dans la langue de Cicéron veut dire "au delà", "outre". Plus qu'un nom ici c'est un projet, celui de briser quelques barrières. Et ils vont le faire magnifiquement. D'ailleurs puisque l'on parle de Cicéron il est de la partie, cité par le groupe dans cette œuvre "où il est montré que toutes les choses humaines ne sont qu'un rêve". Voilà, le décors est installé. Rêve, illusion, introspection, voyage. Ce sera la substance de ce Vltra.



Si votre came c'est le black metal nordique, froid et minimaliste, ou le gros brutal qui tâche, ou l'orthodoxe-avec-samples-de-chœurs-qu'on-sait-pas-ce-que-c'est-mais-ça-fait-religieux, passez. Ou plutôt non, venez justement, mais en laissant vos idées préconçues au vestiaire. Spite Extreme Wing nous sert ici un black metal rapide et curieusement atmosphérique, progressif même, proche dans le son et l'ambiance d'un Seth période Les blessures de l'âme par exemple, mais avec une approche sonore particulière. Déjà les claviers sont remplacés par un multi effets analogique Roland Space Echo et guitare et basse sont branchées sur de la valeur sûre de chez Orange. Le vintage au service du futurisme, comme un symbole (je vais y revenir). Les compos sont  souvent relativement longues, variées, très chargées en mélodies aux accents folkloriques, et tous les textes sont chantés en italien. Une sacrée mixture qui prend très bien, grâce à un vrai travail de composition et d'organisation qui donne toute sa cohérence à l'ensemble. Les titres s'enchaînent pour former une suite de paysages, un panorama. Un vrai voyage.

C'est très fin, très travaillé, sans jamais sonner surfait ou trop produit. L'alchimie est réussi entre gros travail cérébral pour concevoir le tout et maintient d'une certaine spontanéité. C'est d'autant plus louable qu'au niveau des textes et de la réflexion apportée, ça vole assez haut. Pas de satânerie de base ni de délires identitaires/retrogrades comme hélas trop souvent dans le genre. Les italiens proposent à la place une réflexion à eux sur la place de l'esprit humain dans le temps et son rapport au monde. "Les choses humaines ne sont qu'un rêve" nous dit-on en préambule. Scipion, Ulysse, Mercure, archétypes des voyageurs et décideurs, invoqués au fil du texte pour peupler ce tableau des passions, des errements humains, des idoles qui tombent et d'autres qui s'élèvent. Avec constamment comme une invocation à vivre, c'est à dire à se surpasser soi même, au sens nietzschéen. Un pied dans le passé, les yeux vers le futur, c'est la place de Spite Extreme Wing. Entre évocation du passé et de l'héritage italien, emprunts littéraires à Rome et graphiques au symbolisme (pochette reprise du peintre russe Konstantin Juon), Spite Extreme Wing plante son drapeau, celui d'antimodernes en lutte contre le monde courant, cherchant à s'en échapper tout en en prenant part. Bref on sort largement des sentiers mille fois battus du black metal, tout en y étant farouchement établis mais de façon paradoxale, détournée. Adulte, si vous voulez.

Hélas on a plus de nouvelles du groupe, donné pour splitté depuis peu. A part une participation à une compilation éditée par Signum Martis (un rassemblement de groupes et artistes péninsulaires partageant les même idées) il n'y a pas eu de suite à ce Vltra, si ce n'est une réédition en grosse galette noire au tracklisting remanié et complétée de bonus. Réédition logiquement appelée Nec plus ultra. Ça leur va très bien.


Vltra est encore trouvable en vinyl chez le label: http://www.art-of-propaganda.de/

mardi 10 avril 2012

RIP Jacques Carelman (1929 - 2012)

Au rayon des illustres inconnus dont on aurait mieux fait de nous parler récemment plutôt que nous abrutir avec  la campagne merdisentielle, le football et autres sujets d'un haut interêt journalistique et intellectuel (hum), Jacques Carelman nous a quitté sans faire trop de bruit. Jacques Carelman vous me dites?


Carelman est né en 1929 et a épousé très tôt une carrière à géométrie variable: il sera tout à tour dentiste, peintre, dessinateur, concepteur de décors de théâtre, sculpteur... Acteur important mais méconnu du milieu artistique, il cotoie le Collège de Pataphysique et en (re)fondera une des branches, l'Oupeinpo. On lui doit beaucoup de choses sans savoir qu'elles viennent de lui, comme la célèbre affiche de Mai 68, celle du CRS=SS. Mais son oeuvre majeure ce sont ses livres. Après un "Petit supplément à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert", il accouchera d'un "Catalogue des timbres-poste introuvables" et surtout du "Catalogue des objets introuvables" qui feront sa renommée. Calqués sur les anciens catalogues de la manufacture d'armes et de cycles de St Etienne, les catalogues de Carelman ne sont rien d'autre que des chefs-d'oeuvre d'humour absurde, où l'auteur détourne des objets usuels, les modifie, dans un grand n'importe quoi où l'irrationnel se mélange à la logique la plus extrème... et à la poésie.

Ceci est un vélo. A escaliers.
Dans ses catalogues -à la présentation rigoureuse et empreinte d'un grand serieux de façade- la frontière entre réalité et absurde s'efface. Il utilise l'humour le plus décalé pour tordre les conventions et porter un regard nouveau sur notre quotidien. Il met la logique à l'épreuve du rire. Le dicton Shadok dit: "S'il ny a pas de solution, alors il n'y a pas de problème". Carelman en revanche invente des solutions à des problèmes qui ne se posent pas, mais pourtant paraissent évident à la vue de ses "objets introuvables". Un lavabo vertical pour prendre moins de place dans les petites salles de bain? Un fusil à canon sinusoïdal pour chasser le kangourou? Une échelle pour cul-de-jatte sans barreaux horizontaux? Dans les Catalogues l'impossible devient réel, l'idiot devient lumineux. Et on se prend à souhaiter que ces objets existent pour de vrai.
 
Pourquoi parler ici de Carelman? Parcequ'il fût un poète d'un genre de plus en plus rare. Un poète subtile qui détournait les codes avec intelligence pour nous inciter à remettre en question les normes habituelles. Ce génie modeste était un peu à la sculpture et au dessin ce qu'un Bobby Lapointe était aux mots. Un artiste décalé, absurde, parfois grivois voir provoquant, mais qui démontait et recréait les acquis avec une intelligence rare. Feuilleter ses Catalogues et se laisser prendre au jeu, c'est un peu une façon indirecte de pratiquer la pensée latérale. Et ça, dans des temps comme les nôtres où l'on uniformise tout, où on fait tout rentrer dans le même moule au nom de l'égalitarisme, ça fait du bien.

Jacques Carelman, le pataphysicien, le détourneur de sens, nous a quitté un 30 mars. Inertie médiatique oblige, sa mort a été annoncée le premier avril. Ca aurait pu être une de ses meilleures blagues. Il aurait même pu en faire un calendrier à sa façon. 
Salut l'artiste, et merci.

lundi 9 avril 2012

Livre: Luigi Russolo - L'art des bruits (1913)


Qu'ont en commun Igor Stravinski, Sonic Youth, Piet Mondrian, Pierre Henry, Einstürzende Neubauten, les futuristes italiens, les musique concrète, indus, noise ou electro? Une influence commune et considérable: un livre, L'art des bruits.



Ce petit manifeste, on le doit à un homme: Luigi Russolo. Cet artiste protéiforme italien est né en 1885, dans une famille de musiciens. Il s'oriente initialement vers le violon avant de plaquer la musique pour choisir la peinture. C'est au sein du courant du futurisme qu'il va débuter sa carrière. Ami des fondateurs du mouvements, Boccioni et Marinetti, il partage avec eux le même rejet de la tradition, la même insoumission à l'orthodoxie artistique du début du siècle, et la même fascination pour les machines, la science, le progrès. Il co-signera d'ailleurs plusieurs manifestes.

Une de ses première oeuvres: Dynamisme d'un train, 1912.

Mais c'est avec la redécouverte de la musique qu'il va se faire connaître et passer à la postérité. A l'origine il prend la défense de son ami, le musicien futuriste Balilla Pratella, dont les concerts déclenchent polémiques et empoignades. De là naîtra une réflexion sur l'origine même de la musique. A un monde antique qui n'était "que silence", si l'on excepte les bruits de la nature, Russolo oppose le monde nouveau né au XIXème siècle: celui des usines, des machines, le monde du bruit. Et d'en tirer une conclusion: le progrès scientifique et industriel a révolutionné le monde auditif de l'homme, lui a ouvert les portes d'une infinité de sons nouveaux, de fréquences sonores inconnues, qui se doivent de servir de matériau brut pour l'établissement de nouvelle règle harmonique, d'une nouvelle musique. "L'art musical rechercha tout d'abord la pureté limpide et douce du son. […] Aujourd'hui l'art musical recherche les amalgames de sons les plus dissonants, les plus étranges, les plus stridents. Nous nous approchons ainsi du son-bruit. Cette évolution de la musique est parallèle à la multiplication grandissante des machines qui participent au travail humain. Dans l'atmosphère retentissante des grandes villes […] la machine crée aujourd'hui un si grand nombre de bruits variés que le son pur, par sa petitesse et sa monotonie, ne suscite plus aucune émotion."
Pour Russolo, l'oreille d'un homme du passé n'aurait pas supporté la stridence et la clameur des machines. Mais parce que celle de l'homme des XIXème et XXème siècles s'y est habitué, il faux intégrer ces "sons-bruits" au solfège pour en faire le "bruit musical".

Le petit manifeste de Russolo paraît en 1913. Il fera parler de lui, mais pas autant que les concerts que l'homme met au point! Il fait en effet fabriquer une série d'instruments d'un genre nouveau, les intonarumori ou "joueurs de bruit", et développe en parallèle un nouveau solfège et une nouvelle méthode pour composer et écrire des partitions. Une démarche intégrale qui sera la base de la musique bruitiste. Ses caisses à bruit sont censées reproduire les bruits de la vie courante et urbaine, et en retirer une nouvelle harmonie, créer de nouvelles émotions. Quitte à faire pour cela table rase du passé: dans sa conclusion, Russolo affirme que les compositeurs doivent non seulement aller de plus en plus loin dans l'utilisation des dissonance mais qu'ils doivent même remplacer instruments et orchestres traditionnels –dont la variété de son est jugée trop restreinte- par des machines reproduisant à loisir l'infinité des bruits. Pour en retirer de nouvelles émotions, les émotions d'un monde et d'un homme nouveau. "Chaque son porte en soi un noyau de sensations déjà connues et usées qui prédisposent l'auditeur à l'ennui […]. Nous en sommes rassasiés. C'est pourquoi nous prenons infiniment plus de plaisir à combiner idéalement des bruits de tramways, de voitures et de foules criardes qu'à écouter encore l' "Héroïque" ou la "Pastorale" ".

 Les intonarumori de Russolo.

Russolo donne son premier concert à Milan en 1914. Parmi les compositions jouées, "Reveil d'une ville" et "Congrès d'automobiles et d'avions". Il remet ça en 1921 à Paris, devant un parterre de choix (Stravinski, Mondrian, Revel ou encore Claudel sont dans la salle)… et déclenche une émeute! Mais l'expérience s'arrêtera là et il sombrera vite dans l'oubli. D'abord écarté du mouvement futuriste à cause de son rejet du fascisme, il retournera à la peinture avant de décéder en 1947.

Oublié Russolo? Certainement pas! Si les rares enregistrements de ses intonarumori n'ont guère laissé de trace, ses concepts et sa démarche ont influencé un nombre incalculable d'artistes dans la deuxième partie du XXème siècle. D'abord les défricheurs des musiques expérimentales et concrètes. Puis l'indus, l'electro, la noise… jusqu'au rock. Recherche de la dissonance, utilisation harmonique des larsens ou saturations, éclatement des structures musicales, incorporations de bruits jusqu'au sampling ou aux field recordings qui ne sont que la continuation logique de son travail… on lui doit un peu tout, directement ou indirectement. Certains dans le milieu de l'electro utilisent encore sa méthode d'écriture de partitions, parfois sans le savoir puisque des logiciels de composition en sont dérivés. Une œuvre de déconstruction/reconstruction non seulement de la musique, mais surtout de notre propre rapport au son, donc au beau. Parce que -en bon futuriste, c'est à dire un peu en terroriste créatif- Russolo ne voulait pas uniquement créer un art nouveau, ni seulement la bande-son de la société moderne, mais de façon générale ouvrir les oreilles et les esprits et stimuler par la musique-bruit l'âme et l'intellect. Sans prendre de gants.

"Sortons vite, car je ne puis guère réprimer trop longtemps mon désir fou de créer enfin une véritable réalité musicale en distribuant à droite et à gauche de belles gifles sonores, enjambant et culbutant violons et pianos […]! Sortons!"

Longtemps introuvable, L'art des bruits a été réédité en français aux éditions Allia (48p, 6,10euros).

mercredi 28 mars 2012

Aluk Todolo - Live At The Music Hall Of Williamsburg


"Je considère l'artiste comme un médium, au sens spiritualiste du terme, non comme un créateur. Notre musique est basée sur le rituel, l'invocation et la transe"* expliquait le batteur Antoine Hadjioannou pour définir la démarche d'Aluk Todolo. Et c'est exactement l'impression que produit l'écoute de ce Live at The music hall... : celle non d'un concert mais d'un rituel chamanique, d'un groupe en pleine fusion avec le son, réarrangeant ses titres pour en tirer la moëlle substantielle.

Depuis la sortie de son premier ep en 2006, le trio hexagonal baptisé Aluk Todolo ("le culte des ancètres" dans la langue de l'ethnie Toraja en Indonésie) creuse son sillon dans l'underground avec une belle constance. Deux albums, deux ep, deux splits, et cette tape -dernière production en date- qui synthétise un peu le tout. Et comme toujours avec eux, le mélange est riche: krautrock, musique rituelle, rock psychédélique, drone, noise, et même un vague feeling black metal par moments. Un océan de sons et d'impressions, allant de l'étouffement à la libération.
Trois petits titres (et à peine une demi-heure), c'est tout ce que contient cette tape. Il n'en faut guère plus. De la transe noisy de "Sheol" à la longue et hypnotique procession funèbre de "Woodchurch", Aluk Todolo déploie un spectre d'ambiances hallucinant. Lignes de basses obsédantes et rampantes, groove caverneux, larsens incantatoires, longues montées en extase entrecoupées d'interjections noise bruitistes, c'est un vrai voyage plus qu'un concert qui est mis sur bande. Un voyage improbable, alternant finesse dans la recherche sonore et sauvagerie brute.

A l'écoute on est frappé par la variété des styles conjugués autant que par l'homogénéité de l'ensemble. On l'est tout aussi par la personnalité dont fait preuve le trio. N'attendez pas un clone de X ou Y, bien foutu mais sans âme propre. Aluk Todolo trace son propre sillon, sa propre voie, sans soucis des codes et gimmicks imposés, sans vouloir ressembler à untel pour appâter plus facilement le chaland. Pour une oreille peu avertie il faut un certain effort pour rentrer dans le son. Pas que ce soit une question d'élitisme mal placé, mais plutôt une certaine exigence: la musique d'Aluk Todolo ne se laisse pas apprivoiser aisément. Elle rebute, elle déroute au premier abord. Elle demande un effort. Avant d'envoûter. Prix à payer pour atteindre la transe, car en magie -et dans l'esprit de ses géniteurs cette musique tient en partie de la magie- il y a toujours une contrepartie à donner. Mais pour sa richesse de son, sa personnalité et sa densité artistique, Aluk Todolo le mérite vraiment.


* interview au magazine Oaken Throne #6 - 2009

Production et distribution: Amortout

mardi 27 mars 2012

RIP Jean 'Moebius' Giraud, 1938-2012


(en guise de premier article pour inaugurer ce blog, un modeste hommage à un grand créateur récement disparu. l'analyse plus exhaustive des oeuvres de Moebius fera l'objet de prochains posts)


Le récent décès de Jean 'Moebius' Giraud est l'occasion de revenir, plus que sur une carrière, sur tout un univers façonné d'œuvre en œuvre par le dessinateur prodige. Pierre angulaire de la BD française de la fin de siècle, géniteur des inoubliables Blueberry, John Difool, Arzach et Major Grubert, co-fondateur de la revue Metal Hurlant et de la maison d'édition Les Humanoïdes Associés… et surtout inspirateur d'un nombre incalculable d'artistes divers, Moebius/Gir a laissé ce monde pour en rejoindre un autre. Un choc pour beaucoup ayant eu l'esprit frappé à la découverte de l'œuvre du maître. Et pas que par simple plaisir de bédéphiles. L'imagination ne fonctionne plus tout à fait pareil après la lecture du Cycle d'Edena ou du Garage hermétique. Comme tout choc profond et authentique, il a laissé des traces sur le long terme. Et ce à plusieurs niveaux.

Plus qu'un décors, c'est en effet une démarche qui était instaurée: la bande dessinée de Moebius est avant tout un univers de poésie libre. Liberté de ton, qui mêle et fusionne constamment les contraires: la petite aventure et la grande épopée, le comique et le tragique, le noble et le trivial, les non-dits et les symboles souvent lourds de sens. Liberté de méthode et de création, parfois jusqu'à l'absurde, tel le Garage hermétique crée presque par accident et élaboré planche par planche en improvisation complète, sans fil directeur prédéfini. Du "dessin automatique"? Une écriture humaine en tout cas, libérée des carcans moraux et fausses pudeurs, des dogmes de l'orthodoxie dessinée et des idées préconçues. Cette liberté, cette défiance (volontaire?) aux normes, aux habitudes, sont des axiomes structurants de l'œuvre de Moebius.



Le sujet de la quête métaphysique est aussi une récurrence chez Moebius/Giraud. On connaît bien son intérêt marqué pour le chamanisme, en particulier amérindien. On oublie souvent ses relations passées avec le chantre de l' "instinctothérapie", Guy Claude Burger (le "maître Burg" des jardins d'Edena). C'est en tout cas toujours d'un "autre" et d'un "ailleurs" qu'il est question dans la BD de Moebius. D'un concept qui nous échappe tout en redéfinissant notre monde-perception. Qu'il s'agisse du passé caché dans le sous-marin rouge du Maître des voies, du présent chaotique dans lequel John Difool se sent constamment dépassé, des passions inavouables ou des élévations spirituelles les plus hautes, des mondes les plus étrangers ou de la réalité la plus terre à terre, tout devient lieu ou objet de quête, de découverte, et en particulier de soi. Giraud est le peintre des grands espaces, que ceux-ci soit naturels (le désert, obsession permanente de Blueberry à Arzach) ou intérieurs. Le paysage n'est jamais que le reflet de l'âme de celui qui le parcours. Au vide de l'horizon ne correspond souvent qu'un grand vide métaphysique que le voyageur cherche à combler. La réponse est souvent à portée de main, et pourtant nécessite toujours d'une façon ou une autre une initiation pour être trouvée. Introspection, quête, sacrifice… et rêve. C'est dans les différents plans de la perception, dans le mille-feuilles du sommeil paradoxal, dans les replis de l'illusion que se cache notre vérité intime. Et c'est dans ces labyrinthes de l'esprit, terrains propices à tous les délires scénaristiques, que Moebius nous emmenait nous perdre… pour mieux se trouver. Et toujours sans se départir d'un humour vif et décalé, "sourire d'une intelligence" ô combien féconde.


Cet humanisme réel -non une tolérance de façade pour le genre humain mais un attachement sincère pour les mystères et potentialités de l'âme-, cet place prépondérante donnée au rêve, ce mysticisme naturel, autant que son talent, sont sûrement les raisons qui ont amené Moebius à collaborer avec tant de grands noms, en particulier cet autre grand allumé inclassable et génial qu'est Jodorowsky. Et qui fait aussi qu'il demeure reconnu internationalement en tant qu'artiste. En tant que créateur d'un univers propre, à l'instar d'un Miyazaki.

Moebius s'en est allé, au terme d'une longue lutte contre le cancer. Le créateur de mondes, qui fouillait toujours au plus profond de la vie, n'est plus. Mais il est encore, plein de son mystère et de son humanité, planant au dessus de nous comme Arzach l'arpenteur volant au dessus du désert sur son grand oiseau blanc. Et il le restera. 
Parce qu'ils sont fait de la même matière que l'homme, de ses espoirs et de ses peurs, il y a des rêves qui ne connaissent jamais de fin. 

Ouverture

Après une longue gestation, Anamnesis voit le jour et rejoint la déjà très large communauté des blogs. "Un de plus" diront certains... Oui, un de plus. Mais un qui a pour ambition de revendiquer et affirmer une certaine liberté de ton et de sujets. Parcequ'il y a des artistes dont on ne parle pas assez, parcequ'il y a des oeuvres méritant tellement plus que l'anonymat relatif dans lequel les tiennent confinées tant l'étroitesse intellectuelle générale que l'implacable verrouillage du système, parcequ'il y en a dont on parle mais mal, sans aller au fond des choses... Anamnesis se donne pour but de jouer les defricheurs.

Musiques experimentales et rituelles, penseurs anticonformistes voir déviants, artistes inconnus ou références, philosophie antique et hermétisme, tous ont leur place ici. Une seule règle: sortir des sentiers battus. Ne pas s'en tenir aux acquis. Aller contre le sens courant.

Ce blog proposera chroniques musicales et littéraires, live reports et dossiers de fond. Sans classement, sans logique, sans hierarchie. Dans un chaos stylistique parfaitement assumé. La vie n'est-elle pas chaos?


Pour mettre d'entrée de jeu les choses au clair: non, vous ne trouverez ici aucun lien de téléchargement. Anamnesis n'encourage pas le piratage. Une scène se soutient en achetant les oeuvres et en se rendant aux concerts, expositions et autres évènements. Non que l'échange de fichiers n'est pas aussi une aide à la découverte, il a son interêt pour propager le nom d'un artiste, mais ce n'est pas la vocation de ce blog. Les amateurs de MP3 trouveront toujours leur bonheur ailleurs sur la toile.

Un dernier mot concernant l'interactivité du blog: les articles sont ouverts aux commentaires, mais ceux-ci sont modérés. En l'occurence aucune tolérance ne sera accordée au langage SMS et autres barbarismes "lol-mdr" en usage sur Internet. S'il arrive à l'auteur de ce blog de commettre des fautes, le massacre systématique et insouciant du français -avec pour vecteur aggravant Fachobook, Twitter et autres réseaux soit-disant sociaux- n'est pas accepté ici. Les commentaires dépassant la juste mesure orthographique seront purement et simplement supprimés, sans avertissement. Merci donc de faire un effort...

Bonne lecture.