Monsieur
"Fenriz" Gylve Nagell a toujours été quelqu'un d'hyperactif. Mais
paradoxalement sa célébrité en tant que batteur de Darkthrone a un peu fait
passer à l'arrière plan ses autres projets. Et il y en a pourtant eu quelque
uns! Une ribambelle de groupes punk/thrash/crust qui n'ont mené à rien ou
presque, la musique folk/viking de Storm, déjà plus intéressante, et surtout le
black metal à corne à boire d'Isengard (dont personnellement je n'ai jamais
compris le succès tant ce truc oscille entre inutilité intrinsèque et ridicule
le plus complet). Bref, on pourrait faire une encyclopédie de tout ces projets,
mais ici je n'en retiendrai qu'un. Peut-être le moins connu et le plus
bizarroïde.
Et là vous allez me dire:
"ça sent le LSD". Bien vu.
Neptune Towers n'est rien
d'autre qu'un expérimentation chelou qui explore les terres improbables de
l'ambiant et du krautrock. Oui oui, le mec qui a pondu Transylvanian
hunger et Panzerfaust et qui là nous fait du Tangerine Dream,
c'est bien de ça qu'on parle. Et attention, en plus il y a concept: deux
albums, de deux titres chacun, à écouter d'une traite. Un voyage spatial mis en
musique, une odyssée sonore et hallucinatoire vers « l'Empire Algol ».
Une plongée dans les ténèbres d'outre-dimension, à base de synthés éthérés, de
rythmiques de pulsars, de larsens et autres distorsions qui vibrent comme le
vent solaire s'écrasant sur la magnétosphère de Saturne.
Les deux opus sont sortis
dans la semi-clandestinité chez Moonfog. On ne pourra pas dire que ça aura marqué
grand monde, le projet est même vite retombé dans les oubliettes de l’Histoire
du metal. En même temps c’est tout sauf du metal, justement. Trop barré pour le
chevelu lambda ? Pas dans l’air du temps ? Le public s’est vitre
divisé en deux : la grande majorité des « rien à carrer » et le
petit groupe des initiés qui ont senti le potentiel de la chose et l’ont élevée
au statut d’œuvre culte.
Il faut dire qu’encore
aujourd’hui, écouter Neptune Towers est une expérience un peu à part. Si
certains sons et effets légèrement prout-prout ont vieillit et font sourire l’ensemble
tourne vite à l’onirisme inquiétant, voire au glauque cosmique. Ces disques
sont habités. Il se passe quelque chose. Fenriz le dit lui-même dans les liner
notes : « Thank you to whatever gave me the Cold Void visions ».
Il n’était peut-être pas seul quand il a enregistré ça, comme un démiurge
lovecraftien créant sous une influence « autre ». Et l’ambiance qui
en ressort passe constamment du psychédélisme spatial à la vénération
yog-sothothienne. A la fois trippant et flippant.
Ce type fait souvent n’importe
quoi. Mais il le fait bien.
Et c’est le but : l’absence
de chant ou batterie est assumée car ces instruments sont présentés comme trop « terrestres ».
Et de recommander en toute lettres dans le livret d’écouter les disques
absolument seul, « NOT FOR COLLECTIVE LISTENING ». On connait la
répugnance de Fenriz vis-à-vis des concerts (raison pour laquelle ils n’en ont
presque jamais fait avec Darkthrone), Ici ça va plus loin : la musique est
présentée comme l’antithèse du divertissement, c’est une
expérience quasi mystique qu’il convient de ritualiser et vivre en profondeur. Avec
une forme de dévotion profonde. Et ça, mine de rien, c’est un parti pris qui a
fait date et que de nombreux groupes ont repris à leur compte de nos jours.
Plus de vingt ans après,
que reste-t-il de Neptune Towers ? Des cds absolument introuvables, une
chouette réédition LP chez Svart Records (un label qu’il est bien), et une
réputation qui reste à faire. Franchement ça vaut le coup. Si les tours de
Neptune ne se hisseront sans doute jamais jusqu’au panthéon du krautrock, ce
grand voyage vers le mystérieux Empire Algol mérite largement l’attention des pèlerins
de l’expérimentation sonore et du musicalement improbable. Neptune Towers c’est
un peu le skeud bizarre qu’on gardera toujours sur les rayonnages de sa
cédéthèque, la curiosité qu’on sortira une fois tous les trois ans, mais qui
-associée à quelques bougies et éventuellement de sympathiques psychotropes-
procurera quelques frissons pénétrants à vos rêveries solitaires.
ESCAPE THE EARTH.