mercredi 28 mars 2012

Aluk Todolo - Live At The Music Hall Of Williamsburg


"Je considère l'artiste comme un médium, au sens spiritualiste du terme, non comme un créateur. Notre musique est basée sur le rituel, l'invocation et la transe"* expliquait le batteur Antoine Hadjioannou pour définir la démarche d'Aluk Todolo. Et c'est exactement l'impression que produit l'écoute de ce Live at The music hall... : celle non d'un concert mais d'un rituel chamanique, d'un groupe en pleine fusion avec le son, réarrangeant ses titres pour en tirer la moëlle substantielle.

Depuis la sortie de son premier ep en 2006, le trio hexagonal baptisé Aluk Todolo ("le culte des ancètres" dans la langue de l'ethnie Toraja en Indonésie) creuse son sillon dans l'underground avec une belle constance. Deux albums, deux ep, deux splits, et cette tape -dernière production en date- qui synthétise un peu le tout. Et comme toujours avec eux, le mélange est riche: krautrock, musique rituelle, rock psychédélique, drone, noise, et même un vague feeling black metal par moments. Un océan de sons et d'impressions, allant de l'étouffement à la libération.
Trois petits titres (et à peine une demi-heure), c'est tout ce que contient cette tape. Il n'en faut guère plus. De la transe noisy de "Sheol" à la longue et hypnotique procession funèbre de "Woodchurch", Aluk Todolo déploie un spectre d'ambiances hallucinant. Lignes de basses obsédantes et rampantes, groove caverneux, larsens incantatoires, longues montées en extase entrecoupées d'interjections noise bruitistes, c'est un vrai voyage plus qu'un concert qui est mis sur bande. Un voyage improbable, alternant finesse dans la recherche sonore et sauvagerie brute.

A l'écoute on est frappé par la variété des styles conjugués autant que par l'homogénéité de l'ensemble. On l'est tout aussi par la personnalité dont fait preuve le trio. N'attendez pas un clone de X ou Y, bien foutu mais sans âme propre. Aluk Todolo trace son propre sillon, sa propre voie, sans soucis des codes et gimmicks imposés, sans vouloir ressembler à untel pour appâter plus facilement le chaland. Pour une oreille peu avertie il faut un certain effort pour rentrer dans le son. Pas que ce soit une question d'élitisme mal placé, mais plutôt une certaine exigence: la musique d'Aluk Todolo ne se laisse pas apprivoiser aisément. Elle rebute, elle déroute au premier abord. Elle demande un effort. Avant d'envoûter. Prix à payer pour atteindre la transe, car en magie -et dans l'esprit de ses géniteurs cette musique tient en partie de la magie- il y a toujours une contrepartie à donner. Mais pour sa richesse de son, sa personnalité et sa densité artistique, Aluk Todolo le mérite vraiment.


* interview au magazine Oaken Throne #6 - 2009

Production et distribution: Amortout

mardi 27 mars 2012

RIP Jean 'Moebius' Giraud, 1938-2012


(en guise de premier article pour inaugurer ce blog, un modeste hommage à un grand créateur récement disparu. l'analyse plus exhaustive des oeuvres de Moebius fera l'objet de prochains posts)


Le récent décès de Jean 'Moebius' Giraud est l'occasion de revenir, plus que sur une carrière, sur tout un univers façonné d'œuvre en œuvre par le dessinateur prodige. Pierre angulaire de la BD française de la fin de siècle, géniteur des inoubliables Blueberry, John Difool, Arzach et Major Grubert, co-fondateur de la revue Metal Hurlant et de la maison d'édition Les Humanoïdes Associés… et surtout inspirateur d'un nombre incalculable d'artistes divers, Moebius/Gir a laissé ce monde pour en rejoindre un autre. Un choc pour beaucoup ayant eu l'esprit frappé à la découverte de l'œuvre du maître. Et pas que par simple plaisir de bédéphiles. L'imagination ne fonctionne plus tout à fait pareil après la lecture du Cycle d'Edena ou du Garage hermétique. Comme tout choc profond et authentique, il a laissé des traces sur le long terme. Et ce à plusieurs niveaux.

Plus qu'un décors, c'est en effet une démarche qui était instaurée: la bande dessinée de Moebius est avant tout un univers de poésie libre. Liberté de ton, qui mêle et fusionne constamment les contraires: la petite aventure et la grande épopée, le comique et le tragique, le noble et le trivial, les non-dits et les symboles souvent lourds de sens. Liberté de méthode et de création, parfois jusqu'à l'absurde, tel le Garage hermétique crée presque par accident et élaboré planche par planche en improvisation complète, sans fil directeur prédéfini. Du "dessin automatique"? Une écriture humaine en tout cas, libérée des carcans moraux et fausses pudeurs, des dogmes de l'orthodoxie dessinée et des idées préconçues. Cette liberté, cette défiance (volontaire?) aux normes, aux habitudes, sont des axiomes structurants de l'œuvre de Moebius.



Le sujet de la quête métaphysique est aussi une récurrence chez Moebius/Giraud. On connaît bien son intérêt marqué pour le chamanisme, en particulier amérindien. On oublie souvent ses relations passées avec le chantre de l' "instinctothérapie", Guy Claude Burger (le "maître Burg" des jardins d'Edena). C'est en tout cas toujours d'un "autre" et d'un "ailleurs" qu'il est question dans la BD de Moebius. D'un concept qui nous échappe tout en redéfinissant notre monde-perception. Qu'il s'agisse du passé caché dans le sous-marin rouge du Maître des voies, du présent chaotique dans lequel John Difool se sent constamment dépassé, des passions inavouables ou des élévations spirituelles les plus hautes, des mondes les plus étrangers ou de la réalité la plus terre à terre, tout devient lieu ou objet de quête, de découverte, et en particulier de soi. Giraud est le peintre des grands espaces, que ceux-ci soit naturels (le désert, obsession permanente de Blueberry à Arzach) ou intérieurs. Le paysage n'est jamais que le reflet de l'âme de celui qui le parcours. Au vide de l'horizon ne correspond souvent qu'un grand vide métaphysique que le voyageur cherche à combler. La réponse est souvent à portée de main, et pourtant nécessite toujours d'une façon ou une autre une initiation pour être trouvée. Introspection, quête, sacrifice… et rêve. C'est dans les différents plans de la perception, dans le mille-feuilles du sommeil paradoxal, dans les replis de l'illusion que se cache notre vérité intime. Et c'est dans ces labyrinthes de l'esprit, terrains propices à tous les délires scénaristiques, que Moebius nous emmenait nous perdre… pour mieux se trouver. Et toujours sans se départir d'un humour vif et décalé, "sourire d'une intelligence" ô combien féconde.


Cet humanisme réel -non une tolérance de façade pour le genre humain mais un attachement sincère pour les mystères et potentialités de l'âme-, cet place prépondérante donnée au rêve, ce mysticisme naturel, autant que son talent, sont sûrement les raisons qui ont amené Moebius à collaborer avec tant de grands noms, en particulier cet autre grand allumé inclassable et génial qu'est Jodorowsky. Et qui fait aussi qu'il demeure reconnu internationalement en tant qu'artiste. En tant que créateur d'un univers propre, à l'instar d'un Miyazaki.

Moebius s'en est allé, au terme d'une longue lutte contre le cancer. Le créateur de mondes, qui fouillait toujours au plus profond de la vie, n'est plus. Mais il est encore, plein de son mystère et de son humanité, planant au dessus de nous comme Arzach l'arpenteur volant au dessus du désert sur son grand oiseau blanc. Et il le restera. 
Parce qu'ils sont fait de la même matière que l'homme, de ses espoirs et de ses peurs, il y a des rêves qui ne connaissent jamais de fin. 

Ouverture

Après une longue gestation, Anamnesis voit le jour et rejoint la déjà très large communauté des blogs. "Un de plus" diront certains... Oui, un de plus. Mais un qui a pour ambition de revendiquer et affirmer une certaine liberté de ton et de sujets. Parcequ'il y a des artistes dont on ne parle pas assez, parcequ'il y a des oeuvres méritant tellement plus que l'anonymat relatif dans lequel les tiennent confinées tant l'étroitesse intellectuelle générale que l'implacable verrouillage du système, parcequ'il y en a dont on parle mais mal, sans aller au fond des choses... Anamnesis se donne pour but de jouer les defricheurs.

Musiques experimentales et rituelles, penseurs anticonformistes voir déviants, artistes inconnus ou références, philosophie antique et hermétisme, tous ont leur place ici. Une seule règle: sortir des sentiers battus. Ne pas s'en tenir aux acquis. Aller contre le sens courant.

Ce blog proposera chroniques musicales et littéraires, live reports et dossiers de fond. Sans classement, sans logique, sans hierarchie. Dans un chaos stylistique parfaitement assumé. La vie n'est-elle pas chaos?


Pour mettre d'entrée de jeu les choses au clair: non, vous ne trouverez ici aucun lien de téléchargement. Anamnesis n'encourage pas le piratage. Une scène se soutient en achetant les oeuvres et en se rendant aux concerts, expositions et autres évènements. Non que l'échange de fichiers n'est pas aussi une aide à la découverte, il a son interêt pour propager le nom d'un artiste, mais ce n'est pas la vocation de ce blog. Les amateurs de MP3 trouveront toujours leur bonheur ailleurs sur la toile.

Un dernier mot concernant l'interactivité du blog: les articles sont ouverts aux commentaires, mais ceux-ci sont modérés. En l'occurence aucune tolérance ne sera accordée au langage SMS et autres barbarismes "lol-mdr" en usage sur Internet. S'il arrive à l'auteur de ce blog de commettre des fautes, le massacre systématique et insouciant du français -avec pour vecteur aggravant Fachobook, Twitter et autres réseaux soit-disant sociaux- n'est pas accepté ici. Les commentaires dépassant la juste mesure orthographique seront purement et simplement supprimés, sans avertissement. Merci donc de faire un effort...

Bonne lecture.