Voilà un album dont la sortie est passée curieusement
presque inaperçue. Peu de promo, à peine plus de bouche à oreille et des
chroniques finalement plutôt rares, surtout en français. Etrange quand on
connaît l'aura et le crédit donné au groupe qui hante les tréfonds de l'indus
et de la neofolk depuis 1989. Trop exigeante la musique de Blood Axis? Ou
est-ce encore dû à la vague odeur de soufre que le sieur Moynihan traîne
toujours derrière lui? Incidemment cela
pose la question de savoir pourquoi des groupes majeurs restent dans l'ombre
alors que quantité de productions médiocres bénéficient d'une forte attention.
Je ne trancherai pas, ce serait une perte de temps. Ainsi va le système. Ce qui
importe c'est ce qu'un artiste a à nous dire. A donc.
"My spirit lead me to speak of forms
changed into new bodies". Les mots d'Ovide ouvrent l'album de façon fort symbolique.
Parce qu'en effet si l'essence de Blood Axis reste la même, sur la forme la
troupe de Michael Moynihan a fait sa mue. Toujours entouré des fidèles Robert
Ferbrache et Annabel Lee (plus quelques guests de qualité comme Bobby
Beausoleil), le maître de bord emmène sa barque vers de nouveaux rivages. Ceux
d'une folk à forte consonance celtique, presque débarrassée de ses intonations
indus des débuts, centrée sur le violon et le chant. Pas si nouveau que ça dans
l'absolu si on tient compte des titres passés s'aventurant déjà sur ces
territoires ("The march of Brian Boru", "Seeker"…) voir
même de l'album concept élaboré avec les gus d'In Gowan Ring (The rites of
Samhain). Sauf qu'ici il ne s'agit plus d'expérimentations mais bien d'un
parti pris intégral. Ce n'est pas pour rien que l'album s'intitule Born
again! C'est bien une nouvelle naissance que Moynihan nous offre.
Alors, quel programme pour ce Born
again? De la folk, ai-je dit. Relativement épurée, portée par les guitares,
violons, banjo et bodhràn, soutenue par des percussions tribales et enveloppée
de très rares nappes ambiantes. Pour ceux qui se sont arrêtés à The gospel
of inhumanity le changement est de taille! Fini les consonances indus, les
rythmes martiaux, les samples de discours grandiloquents. Blood Axis a changé
de peau. Mais en apparence seulement, car l'essence profonde du groupe reste la
même: nostalgie, rejet de la décadence moderne, philosophie et toujours cette
mélancolie non stérile. Et bien sûr il y a la voix de Moynihan, toujours aussi
grave et profonde, captivante et intimidante. Elle fait le fil conducteur entre
des titres souvent très dissemblables. Si un titre comme "The vortex",
avec son long monologue porté par un piano mélancolique et répétitif, rappelle
les grandes heures de "The voyage", "Madhu", "The
path" ou "Churning and churning" sont plus accessibles, courts
et mélodiques, tout en restant très travaillés et profonds, même si de façon
subtile. Bref rien n'est renié. Blood Axis ne fait pas de compromis, il ne fait
que changer son fusil d'épaule pour aborder son propos sous un angle nouveau.
Et cette épure sonore convient pour le coup parfaitement à la poésie dégagée. Une
évolution.
Fidèle à sa tradition, Blood Axis
laisse une part aux belles lettres pour ce qui est des textes. Ovide et ses Métamorphoses
donc, Herman Hesse (pour la mise en musique du très beau poème "Erwachen
in der nacht"), Herybert Menzel repris par Miguel Serrano (référence tout
sauf innocente mais que voulez-vous, on ne se refait pas), mais aussi plusieurs
auteurs médiévaux anonymes. Moynihan s'efface vraiment derrière ses références
et signe de lui même peu de textes. Avec toujours les mêmes obsessions qui
reviennent: le temps, la vie, la mort.
La mort, voilà le pivot central
de l'album. La mort et la renaissance. Born again est un voyage au sein
de la nuit de l'âme, mais pas un voyage sans retour. Au contraire. C'est un
voyage initiatique qui s'ouvre à nous: découverte, sacrifice, échec et chute,
désespoir et accomplissement, multiples étapes de ce périple qui s'appelle
l'existence. Et c'est la force cyclique éternelle de cette existence qui est
louée. Si "The vortex" par
exemple nous entraînent au fond des ténèbres et de la fatalité du destin, avec
la gigue dansante du titre éponyme en conclusion c'est le retour du soleil qui
est fêté. Le retour de la vie, de la joie d'être en vie, simplement. Une joie
goûté sereinement par celui qui a parcouru les étendues sombres de l'âme et de
la mort et en est revenu, laissant la peur et les tourments de l'esprit
derrière lui. Le regard changé.
Avec Born again, Blood
Axis a réussi un pari difficile: se recréer sans se renier, évoluer tout en
gardant la même identité. Cela aurait pu être facile de pondre un Gospel of
inhumanity 2, de reproduire les vieilles formules indus martiales qui ont
fait le succès du groupe. Mais il faut croire que Michael Moynihan n'est pas
comme ça et que le monsieur aime les défis. Ou plutôt qu'il a voulu rester
intègre à ses croyances et adapter son œuvre à son discours: avancer et
changer. Il l'a fait en beauté. A l'heure ou la facilité est souvent le
dénominateur commun en matière de production musicale, un disque aventureux,
complexe, intelligent, sensible et qui refuse obstinément le nivellement par le
bas ne peut qu'être salué.
"Steep is the path but filled with light from those who climbed before me, who left on every jutting rock
a lantern glowing with their dreams".
http://bloodaxis.com/
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