Une fois n’est pas coutume, on va parler cinoche. Exercice nouveau ici, qui
sûrement sera reproduit. En tout cas c’est une œuvre récente qui a motivé
l’envie de se tourner vers le septième art. Un petit film qui a fait pas mal
parler de lui, souvent en bien, parfois en mal, dans les deux cas pas forcément
pour les bonnes raisons.
(Attention, cet article contient des spoilers).
The VVitch (oui avec deux V, orthographe de l’époque oblige), A new-England
folktale, long-métrage américano-canadien de Robert Eggers.
L’histoire nous plonge dans l’Amérique du début du XVIIème siècle (1630
pour être précis). Une famille de colons part vivre seule dans une ferme à la
lisière des bois, après avoir été expulsée du village car jugée trop puritaine
par leurs concitoyens. Ces braves gens s’apprêtent à affronter la nature ne comptant
que sur leurs mains et l’aide de leur Seigneur Jésus Christ pour survivre.
L’aventure va tourner court : mort de leur nourrisson, récoltes gâtées,
animaux de la ferme de plus en plus rebelles et folie paranoïaque affectant
progressivement mari, femme et enfants. Le film présente le naufrage progressif
d’une cellule familiale confrontée à l’adversité. Et pas n’importe quelle
adversité : le Malin, qui rôde dans les bois sous la forme d’un lièvre,
d’un bouc ou encore d’une sorcière. Mais… existe-t-elle vraiment ?
La confrontation avec la nature et la solitude va être le révélateur de
tout ce qui ne va pas chez cette famille qui se veut si parfaite. La forêt en
particulier est plus qu’un élément de décors : c’est le symbole et la
porte de l’inconscient, du refoulé, de l’imaginaire, dont la découverte
progressive va avoir des conséquences dévastatrices.
Dans les bois, personne ne vous entendra prier.
La folie s’installe progressivement dans cette famille déjà pourrie à la
base. Nos héros ne sont ni plus ni moins que des fous de Dieu pour qui tout
dans le monde, absolument tout, y compris et surtout eux-mêmes, est source de
péché. Le Mal les entoure, la vie est une lutte constante pour racheter leurs
fautes. Une fois isolés dans un milieu naturel hostile il n’y a rien de plus
normal que de fantasmer le Diable derrière chaque tronc d’arbre. Une pomme
moisie, un animal qui rôde, un objet qui disparait, tout devient signe,
manifestation, danger. Des dangers avant tout présents dans le cœur de
personnes fragiles, à commencer par les enfants. Le jeune Caleb, fidèle à son
père mais à qui son âge commence à jouer des tours en éveillant sa libido (et
transformant sa propre grande sœur en objet constant de fantasme) ; et
cette sœur justement, Thomasine, dont la présence diaphane traverse le film. Une
fille en plein doute, tiraillée entre son éducation religieuse, la peur de ses
parents, et un désir d’émancipation difficile à contenir. Thomasine qui peu à
peu se rêve sorcière, perdant progressivement pied avec la réalité :
est-elle possédée, voire sorcière sans le savoir ? Est-elle manipulée, ou folle ?
Le bouc est votre ami. Le bouc vous veut du bien. Faisez confiance à le bouc.
C’est le point le plus intéressant de The VVitch : le refus constant
de donner une réponse claire à l’intrigue. Tantôt la sorcière est présentée clairement
comme existant, tantôt sa présence est mise en doute et le scénario laisse plus
à penser que ces braves paysans sont en train de créer eux-mêmes leur propre
Diable. Car The VVitch, contrairement à ce qui a été raconté ici ou là, n’est
PAS un film d’horreur. C’est un huis-clôt psychologique teinté de fantastique,
certainement pas un film d’épouvante. Son but n’est pas de faire peur. Il
montre les dérives mentales d’une famille fondamentaliste qui tombe dans le
piège de la superstition et de la folie paranoïaque qu’elle tisse elle-même à
cause de son endoctrinement religieux. Tout est sujet au doute : les attitudes
et discours de plus en plus ambigus des personnages, les manifestations de plus
en plus violentes de la sorcière qui gardent tout de même un côté réaliste… en
fait tout est affaire d’interprétation : le Mal est-il dans la nature ou
dans notre œil ?
La façon dont les personnages sombrent dans la folie et l’hystérie, dont
ils s’accusent mutuellement, dont ils voient progressivement le Diable
apparaitre, rappelle bien des évènements historiques réels. Un des plus connu
est l’affaire des diables de Loudun, incroyable histoire d’hystérie et de
paranoïa collective née (en… 1630, tiens tiens…) dans l’univers cloîtré d’une
petite ville pieuse et de son couvent, et où les apparitions démoniaques et les
possessions se sont multipliées sur la base de la bigoterie, de l’ennui, de la
rumeur, du fantasme… il n’y avait pas de diable à Loudun, rien qu’un homme d’Église libidineux et des bonnes sœurs enfermées et frustrées, qui ont
fantasmé un démon lubrique. Le reste n’est que mouvements de foule et intrigues
politiques. Mais l’affaire est restée dans les mémoires comme l’exemple parfait
de la création d’une hystérie collective qui se génère toute seule.
On retrouve ça dans le développement psychologique des personnages de The
VVitch. Une ambiguïté permanente, intelligente, qui laisse toujours une porte
ouverte à l’imagination. Et pourtant le film redonne ses lettres de noblesse
(poisseuse) à l’image de la sorcière. Ici elle ne fait qu’un avec la
nature, et elle est impitoyable. Elle envoûte pour détruire, elle fait le mal,
elle tue. Y comprise et surtout des bébés. La scène d’infanticide du début de
film est glaçante, épouvantable, hypnotique, magique. Thomasine elle rêve,
hésite, lutte contre ce Mal qui l’attire, nie, puis y cède et rejoint le Sabbat
après avoir signé le Livre de l’Homme Noir. Elle quitte le monde de l’Esprit et
entre dans les flammes, dans le monde de la sensualité, du corps, scène
onirique d’une beauté visuelle marquante.
La forme justement, parlons-en : The VVitch est une réussite
esthétique. La photo est superbe et très travaillée. La reconstitution de la Nouvelle Angleterre du XVIIème siècle est quasiment scientifique. On sent aussi en permanence
l’influence des grands maîtres de la peinture (Holbein, Goya, Bacon, Millet
entre autres sont invoqués tout au long du film) dans la construction des
cadres, l’usage de la lumière (avec beaucoup de clairs obscurs) et la
symbolique. Surtout cela soutient le propos du film et colle à l’atmosphère comme à
l’évolution des personnages. C’est parfaitement visible dans le traitement de
la couleur par exemple : le quotidien est filmé dans des teintes
désaturées, grises et mornes, comme la vie et le mental des
personnages ; les scènes relatives à la sorcellerie (donc à l’inconnu, à
l’inconscient et au désir) sont très chargées en teintes rouges ou ocres,
vivantes, violentes. Illustration de ce qui se passe dans la tête de Thomasine,
fille frustrée et malheureuse, qui fantasme la sorcellerie comme un
échappatoire.
Je n'arrive pas à dire si c'est un clin d’œil à Francis Bacon ou à la pochette de 'Reign in blood'...
La musique enfin, est LE point fort du film. Le score de Mark Korven est
magnifique, une sorte d’ambiant rituel joué en grande partie avec des
instruments traditionnels désaccordés mais aussi des éléments naturels (bois,
pierres…). La musique se fait discrète, absente ou presque des scènes de vie
quotidienne, plus portée à accompagner les scènes de forêt ou de sorcellerie. Elle
introduit la tension et le mystère, toujours liés à la nature et l’ombre, donc
l’inconscient. Se rapprochant de ce que font des groupes comme Aghast ou
Hexentanz, elle contribue énormément à l’ambiance et l’aura du film.
Bilan: The VVitch est -à mon avis-, une réussite. Malgré (grâce
à ?) sa lenteur et son refus volontaire du spectaculaire et de la
facilité, il impose une personnalité forte. C’est un film intelligent
qui joue habilement sur les fausses pistes et le doute. Il laisse toujours plusieurs interprétations possibles. En somme il
respecte l’imaginaire de ses spectateurs plutôt que de les prendre pour des
cons en ne leur laissant qu’un seul sentier bien balisé à suivre. C’est
agréable de voir une œuvre présenter pour principal argument son mystère, sa
magie, quitte à y perdre volontairement en clarté. Mais le sujet s’y
prête : puritanisme mortifère, maléfices envoûtants, discours hypocrites
et péchés bien naturels, tout n’est que faux-semblants dans ce monde
d’intolérance et d’obscurantisme. Au point qu’on ne sait plus qui est bon et
qui ne l’est pas, et si le Mal est vraiment là ou si nous ne le créons pas
plutôt nous-même. Mais -comme on dit- la plus grande astuce du Diable
n’est-elle pas justement de nous faire croire qu’Il n’existe
pas ? Une astuce que The VVitch arrive à mettre magnifiquement en images.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire