mercredi 20 novembre 2013

Croix de bois, croix de fer: interview avec Metastazis




Quoi de commun entre l’esthétique fasciste et l’Art Déco ? Entre des accordéonistes nord-coréens et Paradise Lost ? Entre les gentils messages tolérants-tous copains d’Orphaned Land et la bile de Peste Noire ? Entre la finesse d’Ulver et les dégoulinures de sang de Watain ? Un sceau : celui de Metastazis.
Tous, et bien d’autres, ont collaboré avec l’artiste parisien qui a imposée sa griffe visuelle dans l’univers des musiques extrêmes. Pochettes d’albums, posters, affiches de concert, Mister Valnoir laisse trainer son pinceau un peu partout, avec bonheur. Et peut se targuer désormais d’être reconnu comme un des meilleurs dans sa partie, ce que pourtant il ne fait pas. Pas là pour se la péter mais pour proposer sa vision du monde et de l’art. Le reste : fuck off, en somme.
A l’occasion de la sortie d’un bouquin sur son œuvre chez l’éditeur toulousain Timeless, l’association Les Musicophages lui a ouvert ses portes pour une expo à son local. « Croix de bois, croix de fer », une exploration du travail de Metastazis et de son rapport à l’esthétique sacrée et politique, la terreur et la zique. Et ça tombe bien parce que j’aime bien ce qu’il fait et que j’habite à côté. Et qu’il a la langue bien pendue. Micro.

Pour débuter, je te laisse te présenter : qui es-tu ?
Jean Emmanuel Simoulin dit Valnoir, par la femme de la rue. J’ai commencé le graphisme en 2001, en rentrant à l’école en fait, mais mes premiers artworks remontent à 99 je dirais. Enfin artwork c’est un bien grand mot, des premiers essais pour les groupes dans lesquels je jouais. Pas très reluisants. Donc je suis rentré en école d’art  graphique et j’ai commencé mes activités lors de mes études. J’ai fais mes études à Paris et à partir de là j’ai commencé à faire les choses sérieusement. Ça fait une grosse dizaine d’années  maintenant que je fais ça. Et que je fais ça sérieusement ? Je sais pas… sept ans, quelque chose comme ça. Et que j’arrive à en vivre ça fait deux-trois ans. 

Quand tu t’es lancé à faire des artworks, tu prévoyais d’en faire une « carrière » ou c’est venu plus tard ?
Ah non, non ! Le truc c’est qu’à la base je ne voulais pas en faire mon « travail », je voulais conserver une certaine indépendance là-dedans et ne pas avoir à tout accepter en fait. Je voulais avoir un département rentable à côté, pour du corporate et des trucs comme ça. Au départ je m’étais donné comme principe de ne pas avoir à faire le nécessaire pour pouvoir en vivre parce que ça aurait dit devoir accepter tout et n’importe quoi, tout ce qui passait. Parce que bon, on va pas se mentir, c’est pas une activité excessivement lucrative. Enfin je ne voulais pas devoir tout accepter, tous les groupes de merdes, toutes les offres qu’on me faisait.
Il se trouve qu’au final j’ai au fur et à mesure plus ou moins volontairement abandonné toutes mes activités en corporate pour ne faire que ça, et j’en suis arrivé à un stade où j’ai assez peu de choses inintéressantes à refuser. Je bosse essentiellement pour des groupes qui me bottent. De temps en temps j’ai un petit groupe qui vient me voir pour une démo, un mini-cd ou un premier album, si le groupe est intéressant je prends et sinon je leur dit non.


Dans tous les cas la règle d’entrée de jeu c’était : pas de compromis…
Quand j’ai commencé à travailler je ne voulais pas qu’on puisse aller chercher un graphiste pour un savoir faire et se permettre malgré tout d’émettre des critiques, des avis, sur une discipline que le client n’est pas censé connaître. Je veux dire : quand tu vas chez ton boucher, tu vas pas lui expliquer comment couper la viande. Ben là c’est pareil. Et ça me rendait fou. Quand je bossais en agence de com’, que tu te fais payer 300, 400 ou 500 euros par jours, si il te demande de changer ça et de mettre ça plus gros, bon je le fais. Parce que au final qu’est-ce que tu en as à branler de cette carte de vœux pour Areva, que le logo soit plus gros ou pas tu vas pas encadrer ça dans ton salon. T’en as rien à carrer. C’est un peu chiant pour l’ego mais au final qu’ils veulent ça ou ça, je serai payé pareil. Quand c’est quelque chose qui est lié à ton univers personnel, à ton intimité créative, que tu n’es pas très bien payé en plus et que le groupe se permet de te dire que tes choix sont pas les bons… quelle est son autorité en tant que musicien pour dire que mes choix ne sont pas les bons ? C’est mon travail. Donc j’en ai eu tellement marre que j’ai fini par foutre ce manifeste à l’entrée de mon site, qui disait que c’est moi qui décide et allez vous faire enculer, et si ça vous va pas allez chez le voisin. Je préfère ne pas avoir à faire de compromis plutôt que de faire des choses qui me déplaisent.
Ce qui au final a fait circuler mon nom, à cause de cette prise de parti radicale, m’a attiré le respect de pas mal de groupes qui sont venus me chercher justement pour ça, et il y a probablement des groupes qui n’ont pas voulu travailler avec moi à cause de ça. Je ne sais pas lesquels, je n’ai pas de retours sur ça mais quoi qu’il en soit ce n’est pas des groupes avec lesquels j’aurais voulu travailler. En fait ça fait office de filtre. C’est selon mes conditions et c’est pas autrement, et si ça vous convient pas allez voir ailleurs. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je demande toujours à être payé en fin de projet, quand le projet a été livré. Je ne me fais jamais payer avant parce que je ne veux rien devoir au groupe. Si j’étais payé avant et qu’au final la collaboration se passe mal, je me retrouve coincé et à devoir rembourser, ce qui serait grotesque. Je préfère ne toucher ma récompense qu’à la fin et pouvoir me rétracter si ça se passe mal avec le groupe. J’aurai perdu un peu de temps mais au moins mon honneur et ma conscience resteront propres.

 Pas de compromis, un respect total que tu demandes vis-à-vis de ton travail, c’est un point de vue que me fait penser à celui de quelqu’un comme Steve Albini. Tu te sens proche de ce genre de démarche?
Je ne vois pas qui est Steve Albini, tu peux m’expliquer ? (NdR : là, je me suis senti seul…)    
                 
Un grand producteur qui a bossé avec un peu tout le monde dans le rock, de Godspeed à Nirvana en passant par Om, Sonic Youth et j’en passe, et qui a la même vision du travail en studio : c’est lui aux manettes et il demande un respect total de son savoir-faire d’artisan du son. Sans se laisser imposer ce qu’un groupe ou un label va demander de façon puérile…
Pour moi c’est la seule démarche viable et intègre pour toute personne travaillant dans la création. Tu vas chercher un service que tu vas payer cher, c’est du gaspillage ! C’est stupide de vouloir donner des ordres à cette autorité alors que tu as tout intérêt à lui faire confiance et à lui laisser faire son boulot. Je trouve ça aberrant que parce que tu paies tu fais soudain autorité. C’est stupide. Surtout que je fais ça pour le bien des groupes, pour leur livrer un travail qui soit de la meilleure qualité possible. Steve Albini c’est la même chose : laissez moi faire mon boulot et vous aurez quelque chose de bien. Si vous commencez à faire de l’ingérence sur quelque chose sur laquelle vous n’avez pas autorité, ça va faire de la merde. Ça va rajouter de l’eau dans le vin, ça va faire un truc tiède et des compromis et ça va être pourrave ! Faut laisser faire les gens qui savent faire, chacun son boulot. Je ne vais pas faire modifier la musique des albums sur lesquels je travaille, je respecte ça, et en échange j’entends aussi que ça se passe de la même manière dans l’autre sens. C’est une question de respect mais c’est avant tout pour le bien des artistes et la qualité de leur travail. Si ils commencent à saboter leur propre boulot, ils se tirent une balle dans le pied, ça n’a aucun sens.

Revenons à tes origines, tes influences. Tu es extrêmement marqué par le travail visuel du collectif NSK. Comment les as-tu découvert, et qu’est-ce qui t’a marqué chez eux ?
Je les ai découverts quand j’étais en école d’art graphique. Je savais pas trop quoi foutre dans la vie donc comme j’avais un petit talent pour le dessin j’ai passé un concours pour une école à Paris et je l’ai eu. Mais bon… j’étais pas passionné par ce que je faisais. Ça me semblait intéressant mais j’étais un peu dans le doute. Et un jour à la bibliothèque de l’école il y avait un magazine qui s’appelle Etapes graphiques, qui maintenant s’appelle Etapes et est LE magazine professionnel spécialisé en art graphique en France, et il y avait une couv’ sur ce collectif artistique qui s’appelle le Nouveau collectivisme et qui fait partie d’un autre collectif protéiforme qui s’appelle NSK. Je connaissais déjà Laibach, j’avais quelques disques et j’aimais bien, et c’est en fait un collectif monté au début des années 80 par les membres de Laibach, quand le groupe a été interdit parce que le nom Laibach était illégal en Slovénie sous Tito. Ils se sont réinventés sous la forme d’un collectif pour  contourner la censure, avec un département peinture, un département musique pour Laibach et un département graphisme qui s’appelle Novi Kolektivizem. Ils faisaient la couv’ de ce canard, je suis tombé sur ce truc et ça a été la révélation. Le graphisme ça peut être ça, ça peut être dur, ça peut être cru, ça peut être violent, ça peut être controversé, et c’est une esthétique qui m’a explosée à la fiole. Je me suis dit : « c’est ça que je veux faire ! ». Donc au début j’ai commencé par les copier, j’avais une espèce de vénération, d’idolâtrie incroyable pour ce collectif. Surtout qu’Internet existait déjà depuis plusieurs années mais c’est des types qui ont 55, 60 ans, qui sont de la vieille école et qui ont une présence quasi nulle sur Internet. C’était donc très difficile d’avoir des infos sur eux. Ca rendait le truc encore plus mystérieux, encore plus magique, c’était la chasse à l’information. J’ai fini après un ou deux ans de recherches par rentrer en contact avec l’un d’entre eux et je suis parti en Slovénie pour les rencontrer. Et à la suite de ça j’ai eu la chance de travailler avec eux sur des projets. C’est vraiment eux qui m’ont donné l’impulsion de faire ce que je fais maintenant. Je les en remercie, et ils le savent. Ce sont devenu des amis et j’ai pour eux un respect sans bornes.

En termes de créativité, de méthodes de travail, qu’est-ce qu’ils t’ont appris ?
Ils m’ont d’abord apporté ce que leurs images m’ont apporté. C’est juste en observant leur boulot que j’ai appris des choses. Là je parle de leur boulot des années 80, tout ce qui tournait autour de Laibach. Ce sont des gens qui ont vieillit, qui sont tous un peu éloignés de Laibach maintenant, qui bossent dans l’art contemporain, des catalogues d’art, ils font encore de l’affiche. Au départ ils m’ont apporté beaucoup juste par l’observation de leur boulot et ensuite quand je les ai rencontrés j’ai fait le puceau quoi ! Je suis allé les voir et j’ai commencé à leur poser des questions techniques sur comment ils faisaient ça, pourquoi ces partis pris… Ils ont eu un petit rôle de mentors, ils répondaient à toutes mes questions et j’ai appris énormément. C’est des gens qui sont d’une telle expérience et d’une telle sagesse qu’ils sont capables de synthétiser en trois phrases l’équivalent de six mois de cours à l’école, avec des mots bien choisis et un esprit de synthèse délirant ! C’est des gens qui ont trente, quarante ans d’expérience, moi j’en ai dix donc voilà… c’est un peu mes darons !

Au travers de Laibach on arrive à l’esthétique totalitaire. C’est le concept du groupe, leur marque de fabrique. C’est aussi en partie la tienne, même si ton travail ne se limite pas du tout à ça. Qu’est ce que tu trouve d’attirant, fascinant, choquant… dans cette esthétique ? Pourquoi ce choix ?
Alors ce n’ai pas une esthétique, c’en est plusieurs. Les gens ont tendance à tout foutre dans le même panier quand il s’agit d’art totalitaire. Entre ce qui s’est passé en Chine ou en Italie il y a une grande diversité de formes d’expression. Au départ j’étais vraiment fasciné par l’art totalitaire, l’art méchant. Après j’ai commencé à m’intéresser un  peu plus à l’esthétique de l’institution nationale, à l’Etat, tout ce qui est timbres, billets de banques etc. Mais globalement  ce qui m’a inspiré dans l’utilisation d’une écriture inspirée des différents courants d’art totalitaire, c’est que… c’est malpoli en fait. Quand tu as envie de faire passer un message fort, il faut adopter un langage graphique qui fasse passer ce message de la façon la plus forte possible. Et il n’y a rien de plus malpoli dans nos démocraties que ces véhicules graphiques issus de l’art totalitaire. C’est pour ça que c’est un petit peu une négation de art en fait, dans le sens où le totalitarisme c’est la négation de l’expression libre, c’est une négation de l’art, de la pensée. Donc le fait qu’en tant qu’artiste j’utilise cette négation de l’art pour en faire de l’art, il y a un  paradoxe qui est intéressant.
Après, effectivement, tu ne l’as pas fait mais c’est vrai que les gens ont tendance à se focaliser la dessus pour mon boulot alors qu’il n’y a pas que ça. C’est un vocabulaire graphique que je n’utilise que quand c’est justifié, qu’il y a un sens dedans. Par exemple j’ai travaillé avec la Corée du Nord récemment pour un artwork et pour d’autres projets (Ndr : Pyongyang Gold Stars, un groupe d’accordéonistes nord coréens qui reprennent des tubes occidentaux en version acceptée par le Parti), c’est évident –que tu le veuilles ou non- que si tu travaille avec la Corée du Nord tu es obligé d’adopter un vocabulaire graphique socialiste qui fleure moyennement la démocratie parce que c’est tout ce qu’ils ont là-bas. C’est tout ce qu’ils connaissent. Tu es donc obligé d’adopter ce vocabulaire, et ce qui est intéressant justement c’est de le confronter avec une vision occidentale libre  de l’art, et de faire un mélange entre les deux. C’est pour ça que les mecs de A-Ha se sont retrouvés dépeints sur une pochette en ouvriers nord-coréens porteurs de torche. C’est la confrontation entre les deux qui est intéressante. Mais je ne vais pas servir de la soupe à la propagande systématiquement à mes clients juste parce que ça me dit de le faire. Si ça ne se justifie pas il ne faut pas le faire, ça n’a aucun intérêt. La gratuité ne m’intéresse pas.


Tous ces régimes, qu’il s’agisse du Troisième Reich ou de la Chine de Mao, sont connus pour être plutôt athées. Paradoxalement je trouve qu’il y a une dimension sacrée dans leur esthétique. Ils vont reconstituer une sorte de religion de l’Etat, qui va se substituer à la religion traditionnelle. Ça t’a marqué aussi, ce lien entre politique et sacré ?
Ah ça c’est sûr ! Je crois que l’exemple où on atteint les plus grands niveaux de délire c’est en Corée du Nord où on est dans une déification absolue des Grands Leaders (parce qu’ils continuent de régner après leur mort !). Dieu a été remplacé par le Grand Leader. D’abord par l’idéologie mais surtout par la personne. On est dans une obsession telle que quand tu achètes un timbre à son effigie, ils vont te mettre le timbre dans une enveloppe supplémentaire qu’ils vont mettre dans l’enveloppe en kraft. Tu n’as pas non plus le droit de plier un journal parce que la photo du Grand Leader est imprimée dedans. Si tu plies le journal tu vas plier la photo du Grand Leader et donc manquer de respect à son image.

Tu deviens littéralement un iconoclaste…
Tu deviens un iconoclaste, oui. Après si tu le fais et qu’un flic te voit, il va te dire : « évite ! ». Tu vas pas finir au goulag pour ça. Mais ça fait partie de tous ces principes. Tu n’as pas non plus le droit de faire une photo du Grand Leader en la recadrant sur son visage ou un autre élément du corps. Il faut le prendre en pied, dans son intégralité. On arrive à des niveaux de délire de déification du chef de l’Etat où on est dans de la religion. Alors qu’effectivement on est dans un athéisme jusqu’au boutiste, dont on peut difficilement aller plus loin. 

On pensera aussi à la fameuse photo du Che qui a un caractère très christique… Mao disait que la religion était l’opium du peuple, mais la politique en est devenue un autre.
On peut dire ça, sauf que la politique donne des ordres concrets à la population. C’est pas des chimères. On est pas dans des fausses réponses à des vraies questions pour calmer les angoisses d’un peuple. La politique c’est diriger de façon très concrète, ou du moins tenter de le faire.


Parlons du notre, de peuple. De notre belle civilisation française de ce début de XXIème siècle : aseptisée, superficielle, transparente, plastique, molle… on pourrait lui donner beaucoup de qualificatifs. Toi tu recycles tout ça : le politique, le militaire, le sacré… Croix de bois, croix de fer ! Le but c’est quoi ? Faire chier les gens ?

Mmmmmh… (longue hésitation)… j’ai toujours eu une fascination pour le black metal. Au début c’est ça qui m’a emmené à travailler là dedans. Ça a été mon premier choc artistique, quand j’avais quinze seize ans. Je n’en suis jamais vraiment sorti mais après j’ai développé et élargi mon univers de pensées, de goûts, de réflexions, d’attirances pour tous les aspects de la négativité chez l’Homme. Ça ne se limite plus au satanisme à la misanthropie mais aussi le romantisme noir, la maladie, le suicide : tout ce qui peut être négatif chez l’Homme a une force, une substance qui est intéressante à exploiter artistiquement. Quand tu regardes un film de Walt Disney, tu vas plus t’intéresser au méchant qu’au gentil qui est d’une nullité crasse et d’une stupidité lénifiante. Le mal développe une aura qui est fascinante, extrêmement riche et très intéressante à travailler d’un point de vue artistique. C’est même pas une question de faire chier ou de foutre la merde parce que d’abord j’ai dépassé ce stade, et d’une autre manière j’ai pas le pouvoir de foutre la merde. Je vends de l’art noir et négatif à des gens qui sont en recherche de ça…

Tu n’as bien sûr pas un impact sur toute la société, faut rester humble par rapport à ça.
Evidement. Je touche un public qui est déjà convaincu. C’est juste qu’artistiquement ça m’intéresse de travailler la négativité. Après, les gens vont dire que c’est de la provocation d’imprimer avec du sang humain. Non, ce n’est pas de la provocation. C’est intéressant, ça n’a jamais été fait, c’est une technique intéressante à développer et surtout ça se justifie par rapport au projet auquel je l’ai appliquée (NdR : une affiche pour Watain). On est dans un art global, une pensée globale ; j’aurais pu imprimer avec du sang de coq pour un groupe qui travaille sur le vaudou, j’en sais rien… ce n’est pas par provocation. J’en ai rien à carrer de provoquer la bourgeoise,  de toute façon la bourgeoise ne va jamais voir mon affiche de Watain. J’ai dépassé ça. Ce qui m’intéresse c’est de faire des expériences qui soient fortes, qui dégagent une réelle puissance, une énergie, et de préférence des expériences qui soient nouvelles. Après, faire chier le monde… le monde se fait déjà très bien chier tout seul, il n’a pas besoin de moi. J’ai dépassé ce stade de rébellion, comme un caniche qui aboierait au pied de la Tour Eiffel en pensant la menacer. Au niveau des échelles on en est à peu près à ça !  C’est juste une façon de m’épanouir dans le mal, la perversion, le romantisme noir… voilà.

 
Mais tu n’es pas forcément de quelqu’un de pervers dans la vie de tous les jours…
Oh si, je suis excessivement pervers ! (rires) Non, non, j’essaie d’être un bon petit copain, d’être un bon fils, un bon professionnel, un bon ami. Voilà, je me contente d’être bon avec les gens que j’aime et d’emmerder le reste de l’humanité autant que faire se peut. Je ne pense pas être quelqu’un de particulièrement nocif pour mes contemporains. Enfin du moins en tant que personne. Après, mon art, j’espère qu’il l’est un minimum.

En parlant d’art, y a-t-il une ou de tes œuvres dont tu es particulièrement satisfait ?
Oui, j’ai des préférences ; ce sont surtout des choses récentes. Des travaux dont je reste particulièrement heureux. Comme les timbres que j’ai réalisé avec le NSK pour The CNK, parce que ça a été réalisé avec eux, qu’ils ont imprimé ça sur papier passeport, perforé. C’est un objet dont je suis très fier au final, qui dégage de la personnalité. Ou mes travaux qui impliquent le corps humain : l’affiche avec du sang, ou le visuel de Glaciation où on a cousu une série de patchs sur le dos du guitariste. Ce sont des travaux qui dégagent une énergie. Et puis après tu as toujours des coups de cœur sur ce qui a été des très rares instants de grâce comme le visuel de Secrets Of The Moon avec la pomme, qui reste un de mes favoris. Mais je reste excessivement critique par rapport à tout ce que j’ai fait. Il y a 85% des choses que j’ai produites que je ne peux plus voir en peinture…

J’allais te le demander : il y a des choses que tu renies ?
Non, il ne faut surtout jamais rien renier ! Il y a des trucs que j’ai bâclé, des trucs qui n’étaient pas bons parce que je n’avais pas la maturité nécessaire. Des choses qui sont maladroites, mal faites… des travaux qui sont jeunes ! Mais voilà, on évolue constamment et  il faut  garder un regard critique et foutre à la poubelle des choses qu’on a fait par le passé. Ça veut dire qu’on évolue. Ça me parait toujours assez malsain de voir des artistes qui continuent à se pignoler sur l’ensemble de leur carrière et ne rien regretter de ce qu’ils ont fait. Ça veut dire qu’ils n’ont jamais évolué. C’est bizarre, c’est quelque chose que je ne partage pas.


Un mot sur Glaciation justement. Tu parlais du black metal comme ton premier grand choc artistique : c’est un hommage à toute cette esthétique créée des années 90…
Le concept était un peu paradoxal dans le sens où ce que je raconte dans les textes est différent de ce que je ressens en tant qu’adulte. C’est quelque chose qui me soulevait de terre quand j’avais seize – dix sept ans. J’étais assez jeune et on parle d’une scène qui était elle-même assez immature et maitrisait assez mal son propos. Mais j’étais jeune aussi, donc je m’en carrais. Avec le temps on se rend compte que tout ça est assez maladroit, assez naïf. Donc il y a un regard assez critique sur le passé mais malgré tout, quand même, ne pas oublier que c’est quelque chose qui a été et qui reste excessivement fort. Qui dégage une énergie et des émotions qui sont très spéciales, et je voulais rendre hommage à cette période là parce que si je suis ce que je suis maintenant, que je fais ce que je fais maintenant, c’est aussi grâce à tout ça. Donc non c’est pas mature, c’est maladroit, c’est naïf, mais malgré tout ça reste important, et il y a des albums de cette époque là qui n’ont pas tant vieilli que ça. Et je garde une affection pour cette époque là, mais en ayant pris un certain recul d’adulte. Qu’il serait ridicule de ne pas avoir, d’ailleurs.

Et en tant que graphiste, comment te situes-tu dans la scène metal ? Par rapport à d’autres comme Chris Moyen ou Dan Seagrave ? Tu vas me dire que tu ne bosses justement pas que pour des groupes de metal, donc tu as déjà un pied en dehors…
Ouais mais ça reste très metal ! Je fais un peu d’indus, un peu d’ambiant, des choses qui restent dans une sphère sombre. Je  ne me situe pas par rapport à mes « collègues », on va dire. Moins maintenant en tout cas. Quand j’ai commencé effectivement j’étais obnubilé par des mecs comme Steven O’Malley, Seldon Hunt etc. Certains sont devenus des amis, d’autres non, mais c’était un peu mes modèles. Ils avaient réussi à travailler pour des grands groupes, à se faire un nom. J’avais une admiration pour ça. Mais maintenant… je regarde un petit peu ce qui se fait, il y a quelques trucs de qualité, mais 95% de la production reste quand même à mes yeux extrêmement médiocre, maladroite, amateur… surtout sans goût, non portée par de réelles idées, de vrais concepts. 

Moutonnière ?
Oui oui, carrément.  C’est un petit milieu d’artisans, où tu copies ton voisin. Et de temps en temps tu as un groupe ou un artiste qui va sortir avec une vraie personnalité, mais c’est très rare. De toute façon, globalement, j’essaie de pas regarder ce qui se fait, de peur de tomber sur un truc que j’aime et que je vais avoir envie de copier ! J’essaie d’aller chercher mes influences ailleurs, sinon tu finis pas tourner en circuit fermé et faire de la merde.  Ce qui donne de la force à un art quand tu es comme ça dans une niche, c’est d’essayer de l’alimenter avec des éléments qui viennent de l’extérieur. C’est ça qui a fait les grands groupes, les grands artistes. Sinon tu deviens un artisan qui sait faire une chaise, qui la fait plus ou moins bien, mais il ne réinvente pas le fait de s’asseoir. Mais je m’intéresse assez peu au graphisme en fait : mes influences ça va être la peinture, le cinéma, la gravure, les arts visuels en général mais pas uniquement le graphisme. Plus le temps passe et moins j’y trouve de choses qui m’intéressent.

Y a-t-il certaines pochettes d’album que tu aurais aimé faire ? Pour lesquelles tu t’es dit « merde, j’aurai aimé avoir cette idée » ?
Oh, bien sûr ! Mais lesquelles… pfff… (longue hésitation)… ça demande réflexion ça. Y a les pochettes de Burzum, mais c’est Théodor Kittelsen, c’est quelque chose qui existait déjà. Mais elles ont été extrêmement bien choisies, c’était une illustration parfaite de l’atmosphère qui se dégage de Burzum. Mais c’est juste un emprunt. Mmmh, les pochettes de Laibach évidement. Tout ce qui a été fait par le Nouveau Collectivisme qui reste pour moi des références, des exemples ! 


Et à l’inverse, qu’est-ce que tu n’as pas encore fait et que tu aimerais faire ?
Ben le truc c’est que maintenant j’ai déjà bossé avec un peu tous les groupes avec lesquels je rêvais de bosser ! Bon c’est mortel hein ! J’ai bossé pour Ulver, Paradise Lost, des groupes qui me collent la trique depuis que j’ai seize ans ! Maintenant je suis arrivé à une certaine satiété de ce point de vue là… (pause) J’aurais aimé travailler pour Type O Negative, ça reste un de mes grands regrets. Je suis un fanatique inconditionnel de ce qu’ils faisaient, ça j’aurai aimé le faire. Sorti de ça je pense que mes prochains trips ça va plus se situer dans la sphère de l’art contemporain, ce que j’ai initié avec la Corée du Nord. Jamais je n’aurai imaginé bosser pour un groupe nord-coréen, personne n’a jamais fait ça ! Le truc m’est tombé tout cuit dans le bec. Ce qui se passe c’est que maintenant les choses me tombent dessus sans même que je n’ai à les imaginer ! Mais pour mes prochains projets j’aimerai me diriger vers quelque chose d’un peu plus crossover entre l’art contemporain et le graphisme. Evoluer dans des sphères un peu plus vastes, un peu moins faciles à catégoriser. Te dire quoi en détail, je ne sais pas. On verra de quoi l’avenir sera fait. C’est des surprises, j’en ai régulièrement qui me tombent dessus. J’attends la bonne surprise, et on verra ce que ça donne.

Et en attendant, le présent c’est cette exposition et le livre, « Croix de bois, croix de fer » sorti chez Timeless. Qu’est-ce qu’on y retrouve ?
Il a fallut que je trouve un axe pour éviter de faire une rétrospective un peu trop fourre tout. « Croix de Bois, croix de fer » parce que ça rapporte à la terreur sacrée et la terreur terrestre, rationnelle. J’ai donc fait une sélection de boulots qui rentraient de façon large dans une case ou dans l’autre. C’est pour ça que j’ai viré Alcest et tous ces projets qui penchaient trop vers le romantisme et qui finalement n’avaient pas leur place ici, qui ne dégageaient pas d’énergie négative. Et c’est Xavier de Timeless qui avait les connexions nécessaire pour me proposer une expo dans des conditions décentes. C’est pour ça que je ne l’ai jamais fait encore en solo. Exposer dans un bar, ‘fin… c’est minable quoi. Je voulais pas faire ça. Xavier, qui connaît Toulouse, m’a mis en contact avec Lena (NdR : des Musicophages) et s’est occupé de lancer ce projet d’expo. Et en plus à côté m’a édité un catalogue. C’est une sortie humble mais noble, dont je suis extrêmement fier pour un premier bouquin. Et je lui suis extrêmement reconnaissant de m’avoir filé ce petit coup d’échelle parce que c’est plus difficile d’exposer dans son pays. Autant je l’ai fait et j’ai eu de la presse dans pas mal de pays, autant en France j’ai jamais rien eu. Et à Paris encore moins. Réussir à faire quelque chose à Paris… si t’as pas un réseau, un piston délirant t’arrives à rien. Donc je cherche même pas à faire quoi que ce soit en France, sauf quand on t’apporte les choses sur un plateau comme ça et là je prends.

Crédits : les illustrations sont tirées du site officiel de Valnoir : http://www.metastazis.com/
Le site des Musicophages : http://www.musicophages.org/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire